Le Parlement européen a donné son feu vert à l’accord de commerce entre l’UE et la Nouvelle Zélande. Il s’agit d’un accord d’un nouveau type, qui comprend enfin des dispositions sociales et environnementales contraignantes, tel que nous l’avons toujours exigé! Pour nous écologistes, tout futur accord commercial avec d’autres régions du monde doit désormais se baser sur ce modèle. Je détaille ci-dessous les raisons qui expliquent mon vote en faveur de ce traité de libre-échange, qui, soyons clairs, n’est pas le modèle que je défends : le travail continue pour une autre mondialisation et un commerce équitable!
L’accord commercial signé avec la Nouvelle-Zélande est le second à être signé par le Parlement sous cette législature après le Vietnam. Mais contrairement à ce dernier, le groupe des Verts a majoritairement soutenu l’accord avec la Nouvelle Zélande, qui intègre la nouvelle approche européenne en matière de durabilité que j’avais négociée pour le groupe des Verts/ALE.
Cette nouvelle approche se base sur le fait que les engagements sociaux (comme le respect des conventions de l’OIT) et environnementaux (comme les engagements climatiques ou en faveur de la biodiversité) pris par les Parties, qui jusqu’ici relevaient d’intentions, prennent enfin une dimension obligatoire avec l’activation de sanctions si elles ne les respectent pas. Il s’agit d’une revendication de longue date des Verts et des ONG que la Commission européenne a fini par accepter en juin 2022. Un véritable changement qui est encore loin d’être traduit dans tous les textes.
Quid pour la Nouvelle-Zélande? Le pays est leader mondial dans une série d’initiatives internationales pour la durabilité. Elle est cofondatrice d’un traité de commerce promouvant les échanges de biens et technologies verts tout en réduisant les subventions aux énergies fossiles et cosignataire de déclarations à l’OMC proposant des aménagements aux règles internationales pour rendre le commerce plus durable. Elle apparaît ainsi comme un partenaire dans notre volonté de forger un modèle commercial durable au niveau mondial.
La Nouvelle-Zélande est, à plusieurs égards, plus performante et crédible que l’Union européenne en matière de développement durable.
En matière commerciale, l’accord aura des conséquences limitées, puisque la valeur du commerce bilatéral des marchandises ne s’élève “qu’à” 9 milliards € (une somme relativement faible au regard d’autres accords commerciaux), et celle des services à 3,5 milliards. A titre de comparaison, les flux avec le Chili (autre pays avec lequel un accord est en voie de ratification) comptent pour le double.
Bien entendu, il ne faut pas se voiler la face : je me suis interrogée sur l’opportunité de signer un accord qui stimulerait les échanges avec un pays situé à l’autre bout de la Planète. N’y a-t-il pas une incohérence entre d’une part, la promotion des circuits-courts, de la relocalisation de l’économie et d’autre part, le commerce avec un pays à 12.000 kms de chez nous ? Le modèle de libre-échange ne pose-t-il pas problème? La réponse est oui pour la plupart des traités commerciaux. Mais celui-ci est différent et doit constituer un précédent. Je m’explique:
Avec ma collègue Sara Matthieu (Groen), nous avons commandé aux experts de l’Institute for European Environmental Policy - les mêmes que ceux avec qui j’avais travaillé sur des propositions visant à assurer la durabilité des accords de commerce - une étude sur les conséquences agricoles, environnementales et climatiques de l’accord. En voici les principales conclusions.
- Agriculture, CO2 et exportations vers l’UE
L'étude démontre que certaines filières, comme celle des ovins, sont plus exposées à la concurrence néo-zélandaise. Des soutiens pour les producteurs et un suivi de l’évolution des importations sont prévus pour réagir de manière appropriée si cela s’avère nécessaire. Les quotas fixés par l'accord sont pour le moment loin d'être atteints. Seul l’avenir nous le dira, mais l’évolution vers un modèle plus intensif en vue de remplir les quotas prévus par l’accord - et “inonder” le marché européen de produits néo-zélandais - semble peu vraisemblable.
Les performances environnementales semblent plus comparables pour les bovins et les caprins. La libéralisation du bœuf (qui portera sur le segment de qualité) porte sur un volume correspondant à 0,15 % de la consommation européenne ; les quotas pour les fromages, le lait en poudre ou le beurre tournent entre 0,3 et 1,3 % de la consommation européenne. Notons également que la part de l'Europe dans les exportations agricoles de la Nouvelle Zélande s'est réduite au fil du temps, passant de 76 % des exportations en 1965 à 23-30 % entre 1985 et 2005 pour tomber à 13 % en 2015.
- Indications géographiques protégées
Face au succès des vins de l’hémisphère sud, il n’y a pas de quoi craindre la production néo-zélandaise, puisque l’accord reconnaît la protection des produits alimentaires et boissons (« indications géographiques »). Ainsi, on ne trouvera pas dans nos supermarchés du « champagne », de « Bordeaux » ou même des « olives » ou du « manchego » néozélandais.
- Alimentation durable et bien-être animal
La Nouvelle-Zélande pourrait faire avancer l’agenda du Pacte vert plus que la Commission européenne ne l’aurait souhaité : la coopération prévue au titre de différents chapitres, dont celui sur l’alimentation durable, pourrait en effet nous aider à atteindre les objectifs de la stratégie européenne de la Ferme à la Fourchette.
De même, la coopération dans le cadre du chapitre sur le bien-être animal pourrait donner lieu à des avancées en Europe où l’amélioration de la législation sur le sujet, annoncée depuis plusieurs années, a été reportée à une date encore inconnue. La Nouvelle Zélande est l’un des rares pays (le seul ?) à interdire le transport d’animaux vivants par voie maritime. Depuis cette année, l’élevage intensif de volailles en batterie (cages) est complètement interdit. Le pays pourrait servir de référence pour l’UE.
L’accord offre également une plateforme à l’UE et à la Nouvelle Zélande pour travailler conjointement à faire en sorte que le prix des produits agro-alimentaires reflètent mieux les coûts pour la société et l’environnement qui sont ignorés jusqu’à présent.
Usage de pesticides: un gros bémol
Le gros bémol tient toutefois dans l’usage des pesticides, la législation néo-zélandaise étant plus permissive. D’où l’importance continue d’ajouter à nos réglementations des clauses miroirs afin d’empêcher l’importation de produits interdits en Europe. L’accord ne va toutefois pas à l’encontre du respect des cultures saisonnières et locales qui proposent des produits de qualité aux consommateurs.
Petite précision avant de conclure : l’accord ne porte pas sur la protection des investissements avec un mécanisme de type « règlement des différends entre investisseurs privés et Etats ».
C’est ce qu’il faut faire au travers de cet accord et des relations que nous entretenons avec ce partenaire exigeant en matière de durabilité. Alors que la guerre en Ukraine a montré que l’UE avait perdu en « soft power », il faut garder à l’esprit que la Nouvelle Zélande fait partie de plusieurs groupements régionaux (Coopération Économique Asie-Pacifique, Cadre Économique Indo-Pacifique pour la Prospérité). Dans une perspective géopolitique, l’UE dispose d’un partenaire fiable dans la région qui abrite 60 % de la population mondiale. UE et Nouvelle Zélande ensemble doivent porter un agenda durable au niveau du commerce mondial et de l’OMC.
Refuser cet accord aujourd’hui, c’est refuser de reconnaître qu’il est de nature à modifier nos relations commerciales, en en faisant un exemple à suivre pour toute future négociation. De nombreuses discussions importantes se profilent en matière commerciale et nous entendons bien utiliser l’accord avec la Nouvelle Zélande comme une référence en la matière. Tant que les accords de libre-échange restent le modèle commercial de la Commission européenne, plus question d’aller en-deçà de l’accord UE-Nouvelle Zélande.
L’accord avec l’Australie s’annonce par exemple bien plus problématique. Bien que voisin de la Nouvelle Zélande, il présente des particularités - importance du secteur minier, pratiques agricoles et exigences d’ouverture du marché européen par l’Australie, échec du référendum d’octobre dernier sur la reconnaissance des droits des Aborigènes, qui rendent les négociations compliquées. Le CETA, l’accord avec le Canada, n’a toujours pas été ratifié par une dizaine d’Etats membres qui risquent de voir les pressions en ce sens s’intensifier. L’accord avec les pays du Mercosur est à l’extrême opposé d’une approche durable des relations commerciales.
En résumé, dire « oui » à l’accord avec la Nouvelle Zélande indique le niveau d’exigence que les accords avec d’autres pays parmi les plus riches (en particulier) devraient atteindre. Mon idéal politique est que les principes du commerce équitable s’appliquent à l’ensemble du commerce. L’accord avec la Nouvelle Zélande améliore le chemin pour l'atteindre, en ajoutant des chapitres de développement durable contraignants dans les accords de libre-échange que Commission européenne et États membres veulent aujourd'hui encore démultiplier à n'importe quel prix, comme l’imbuvable accord UE-Mercosur. C'est ce que l'on veut encourager via l'accord avec la Nouvelle Zélande, c’est que la Commission européenne en fasse son nouveau modèle.
Le travail continue pour une autre mondialisation.