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Travail forcé : accord sur l'interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché européen 

05-03-24

Cette nuit, à 2h du matin, les négociateurs de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement européen ont conclu un accord sur le règlement portant sur l’interdiction du travail forcé. Il s’agit d’un fléau qui concerne 28 millions de personnes dans le monde.

Ce sont les eurodéputés qui avaient arraché à la Commission cette proposition législative, la Commission qui n’en voulait pas initialement, pas plus que les États membres.

La législation vise à interdire l’accès au marché européen et d’en retirer les produits dont il serait avéré que leur fabrication a fait appel à des travailleurs contraints. Il peut s’agir d’un système mis en place par un Etat comme la Chine vis-à-vis de la communauté ouïgoure au Xinjiang ou par des entreprises privées qui exploitent la misère humaine. Un grand nombre de produits sont concernés, depuis les vêtements que nous portons jusqu’aux cellules de panneaux photovoltaïques, en passant par les batteries de téléphones portables par exemple.

En 2015, la communauté internationale s'est engagée à éradiquer le travail forcé. L’existence, depuis 1930, de conventions de l’Organisation Internationale du Travail sur l’interdiction du travail forcé ne suffira pas à éradiquer ce phénomène d’ici 2025. D’où l’importance de la nouvelle législation européenne.

Après 12 réunions techniques, un accord est donc intervenu ce 5 mars 2024. Au regard de ce qui précède, c’est une grande victoire pour le Parlement européen et les progressistes en particulier.

« Je me félicite de l’accord qui est un pas important pour contrer le travail forcé” indique Saskia Bricmont, co-rapportrice fictive pour les Verts. “Il s’agit d’un signal clair envoyé par le premier importateur mondial qu’est l’UE, que le libre-échange a des limites. Le travail forcé en est une. Cette législation redoutée par certaines entreprises est également saluée par un grand nombre d’entre elles dans la mesure où le recours au travail forcé est une source de concurrence déloyale par rapport à celles qui rémunèrent et traitent correctement leur personnel.

En dépit de la position dure de la Présidence belge et derrière elle, des desideratas de la France, de l’Italie et de l’Allemagne notamment, nous avons obtenu ou préservé des dispositions importantes dans la proposition afin de la rendre effective contre le travail forcé et répondre aux préoccupations des consommateurs européens de ne pas encourager le travail forcé par nos achats. »

Le contenu de l'accord :

  1. Une base de données contenant des informations sur les risques de travail forcé dans certaines zones géographiques ou en relation avec certains produits, y compris le travail forcé imposé par les autorités publiques, sera mise en place. Cette base de données servira de référence capitale pour démarrer les enquêtes des autorités publiques compétentes – principalement la Commission européenne. Les négociateurs ont trouvé une formulation pour réintroduire malgré les oppositions de plusieurs Etats membres, un traitement particulier dans le cas de travail forcé imposé par les autorités publiques, étant entendu que dans ce genre de situation, il est plus compliqué de prouver l’existence de travail forcé.
  2. Le Parlement a réussi à obtenir qu’en bout de parcours, les Etats membres ne puissent bloquer une décision de la Commission consistant à ordonner l’interdiction d’accès au marché européen ou le retrait de celui-ci des produits ayant fait l’objet d’une enquête approfondie. Tout au plus, pourront-ils remettre un avis consultatif et la Commission pourra passer outre.
  3. Bien que la proposition fasse référence dans un certain nombre de cas à la compensation pour les victimes dans le cas où une enquête confirmerait le travail forcé, le Parlement européen n’a pas pu obtenir de dispositions plus concrètes alors qu’il existe des méthodologies pour évaluer les dommages causés. Le Conseil et la Commission estiment que cette préoccupation va trop loin et déborde du cadre de la réglementation… Le Parlement a seulement pu garantir que les opérateurs économiques participant à l'enquête pourront volontairement démontrer qu'ils ont payé des réparations aux victimes du travail forcé et une révision de cette disposition en vue de l'inclusion future des réparations a été inclue dans la clause de réexamen.
  4. Dans le cas où il s’agirait de produits reconnus critiques eu égard à d’autres législations (sur l’accès au matières premières critiques, sur l’industrie nette zéro par exemple), le Conseil a imposé un traitement préférentiel qui permet de mettre de côté dans des hangars proches des douanes les marchandises en question le temps. Lorsque l'opérateur économique aura « nettoyé » sa chaîne d'approvisionnement (sans qu’il s’agisse toutefois de compenser les victimes), il pourra alors continuer à utiliser le produit. Ethiquement, cela revient à se montrer plus tolérant envers certaines formes de travail forcé. Il s’agit d’un point qui a failli faire capoter les pourparlers mais que le Parlement a été contraint d’accepter, en attendant de pouvoir réviser ce point lors de l’évaluation périodique de cette nouvelle législation.
  5. En ce qui concerne la date d’application, le Parlement européen voulait seulement donner deux ans aux autorités compétentes pour se préparer à sa bonne mise en œuvre (désignation des autorités compétentes, mise en place de la base de données, d’un Réseau de collaboration et d’un site internet dédié, etc.), les institutions ont finalement convenu que la loi entrera en vigueur dans trois ans.

L'accord avec les Etats membres

Maintenant qu’un accord a été trouvé, il reste deux étapes importantes, à savoir la validation du résultat final par le Parlement et par le Conseil, chacun de son côté. Il ne s'agit pas d'une simple formalité du côté du Conseil car l’Allemagne et la Lettonie semblent avoir déjà annoncé leur abstention. Les regards sont désormais braqués sur l’Italie (qui a récemment apporté son soutien à l’Allemagne pour faire dérailler la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité), la France et d’autres pays, considérant que le vote à la majorité qualifiée nécessite un soutien des pays représentant 55 % des voix au Conseil et 65 % de la population européenne (l’Allemagne, la Lettonie et l’Italie représentant à elles seules près d’un tiers de la population européenne).

 

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