En 2021, l’Union européenne actualisait sa stratégie commerciale afin d’affiner le cadre des relations économiques avec le reste du monde. Le mot d’ordre était : l’autonomie stratégique. Aujourd’hui, on comprend le prix qu’il faut payer en contrepartie : s’asseoir sur les droits humains dans les pays partenaires les plus problématiques.
Un an plus tôt, l’UE signait deux accords de commerce et d’investissement avec le Vietnam. Cet accord était dénoncé par les Verts (j’étais en charge du dossier pour notre groupe) en particulier en raison des violations systémiques des droits humains. Les partisans du renforcement des liens partageaient la vision optimiste qu’en améliorant la situation économique au Vietnam, il en découlerait des progrès sociaux qui conduiraient à relâcher la mainmise de la dictature communiste sur la population et à avancer les libertés fondamentales d’expression et d’association.
Or, la situation sur place est aujourd’hui plus désespérante que jamais. La résolution d’urgence que j’avais fait voter pour dénoncer la détérioration des conditions des militants des droits humains, des activistes écologiques, des journalistes et bloggers est restée lettre morte. Et à vrai dire, le Service Européen d’Action Extérieure semble impuissant. Car aujourd’hui, l’autonomie stratégique consiste à s’assurer de l’approvisionnement en semi-conducteurs et d’avoir un point dans la zone indo-pacifique pour mieux y surveiller la Chine.
Et dans ce contexte, le Vietnam sait comment jouer sa carte pour amadouer les Occidentaux. En février 2022, Frans Timmermans, le Commissaire européen au Green Deal vantait les efforts en matière de décarbonation du Vietnam. Pourtant, dans les semaines précédant sa visite à Hanoï, Mai Phan Lợi et Đặng Đình Bách, deux membres du réseau VNGO-EVFTA, financé par l’Union européenne dans le cadre d'un projet coordonné par le Centre pour le développement durable des zones rurales se voyaient condamnés à plusieurs années de prison. Ngụy Thị Khanh, lauréat du prix Goldman pour l’environnement en 2018, était arrêté. Comme bien souvent, pour les faire taire et cesser leurs activités, la dictature communiste les accuse d’évasion fiscale. En réponse à mes interpellations suite à la visite du Commissaire Timmermans, la Commission reconnaissait que celui-ci n’avait pas évoqué des cas individuels, juste rappelé aux autorités a nécessité, pour la société civile, de jouer un rôle actif dans la transition énergétique verte au Viêtnam...
Pas plus tard que le 10 septembre dernier, l’administration Biden a scellé un pacte sur les semi-conducteurs et les minerais avec le régime en place. Comme un écho à la visite de Timmermans, la venue du Président américain n’a pas empêché l’arrestation de Ngo Thi To Nhien, la directrice exécutive de la Vietnam Initiative for Energy Transition (VIET) et collaboratrice du Programme des Nations Unies pour le Développement qui travaillait sur un projet de sortie des énergies fossiles cofinancé par l’UE notamment. Le 28 septembre, c’était au tour de Hoang Thi Minh Hong, directeur d’une ONG environnementale d’être condamnée à trois ans de prison. Hong n’est pas une inconnue : elle était célébrée par Barack Obama pour avoir mobilisé un mouvement de jeunes à l’image de « nos » Marches pour le Climat. Le Département d’Etat américain s’est borné à exprimer qu’il était « profondément inquiet » et a à nouveau enjoint le Vietnam à « relâcher ceux qui sont injustement détenus et à respecter les libertés fondamentales d’expression et d’association ».
Le 2 octobre, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a exprimé sa consternation à l’annonce de l’exécution de Le Van Manh condamné depuis 2005 et dont des aveux pour meurtre avaient vraisemblablement été obtenus sous la torture. Le Van Manh n’avait pas bénéficié d’un procès impartial. Sa famille n’avait même pas été avertie du jour de son exécution ; elle a juste été informée de sa possibilité d’introduire une pétition pour récupérer son corps. Tout cela va à l’encontre de la Convention Internationale sur les Droits Civiques et Politiques à laquelle le Vietnam est pourtant partie.
Au début de ce mois d’octobre, Human Rights Watch dénombrait désormais pas moins de 160 prisonniers politiques !
Les traités fondateurs de l’UE stipulent que le respect des droits humains et de l’Etat de droit doivent être la boussole de toutes politiques ; la politique commerciale européenne ne peut y déroger. D’ailleurs, les accords économiques, comme ceux qui lient l’UE et le Vietnam contiennent une « clause démocratique » en vertu de laquelle une violation de ces valeurs cardinales peut entraîner la suspension ou la dénonciation de l’accord par l’autre partie.
En d’autres termes, l’UE pourrait convenir de supprimer tout ou partie des accès préférentiels au marché européen dont les productions vietnamiennes bénéficient (essentiellement des téléphones, biens électroniques, textiles, café, riz, fruits de mer et meubles). L’UE a importé du Vietnam pour près de 50 milliards € en 2022. D’autres options pourraient être imaginées, ainsi qu’il ressort d’une étude que j’avais commandée à des experts.
La gravité désespérante de la situation est telle qu’une nouvelle résolution d’urgence devrait être adoptée dans les prochaines semaines par le Parlement européen. C’est ce à quoi je vais m’atteler avec les eurodéputés partageant les mêmes préoccupations pour la population vietnamienne. Le temps des belles promesses romantiques et de la realpolitik est révolu.