Les accords de libre-échange ont des impacts sociaux, économiques et environnementaux non-négligeables. C’est pourquoi, sans perdre de vue la nécessité d’un changement de modèle, les Verts exigent des clauses sociales et environnementales exécutoires dans tous les accords commerciaux entre l’Union européenne et des pays tiers. Par clauses exécutoires, j’entends qu’en cas de non-respect par l’État partenaire, des conséquences, telles que des sanctions par exemple, doivent être décidées. Et victoire : c’est chose faite pour un grand nombre de sujets !
Lors de la révision sur les chapitres de développement durable des accords commerciaux, les conventions de l’OIT, l’Accord de Paris sur le climat et l’accord de la COP15 biodiversité sont pris en compte. Cependant, ce n’est pas encore le cas pour les dispositions relatives aux droits humains. J’en fais une priorité. En effet, le fil conducteur de mon mandat au Parlement européen est la protection et la défense des droits humains. Je ne fais aucune différence entre l’importance de garantir les droits humains en Europe ou dans les pays tiers, qu’il s’agisse de migrants ou de résidents.
Les accords de commerce commencent généralement par un article stipulant que le respect des droits humains, de l’État de droit, et de la démocratie, est un élément essentiel de ce type de partenariat. Une violation grave et répétée de ces droits consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme peut entraîner une suspension ou dénonciation par l’une des parties de l’accord, fermant ainsi le robinet des opportunités économiques. Or, jusqu’à présent, cette clause n’a jamais été activée en dépit de situations alarmantes dans un certain nombre de nos pays partenaires !
On sent une réticence de la part de la Commission européenne qui est en charge du suivi de ces accords pour le compte de l’UE de s’engager dans cette voie : ce qui lui importe est de négocier et de faire entrer en vigueur ces accords, quitte à gommer les « aspérités » que sont les comportements laxistes des partenaires à l’égard de leurs engagements sociaux, environnementaux et en matière de droits humains. Cela a d’ailleurs donné lieu à des échanges assez vifs avec la Médiatrice européenne. Elle estime que davantage pourrait être fait sur ce terrain. Enfin, l’argument ultime de la Commission consiste à affirmer que le déclenchement de ce dispositif aurait des répercussions sur les populations que l’on entend protéger. Les élites disporaient de moyens pour mettre à l’abri leurs richesses et pour conserver leurs pouvoirs. Et la discussion s’arrête généralement là.
J’ai voulu creuser un peu plus loin et voir comment rendre cette clause, dite « démocratique », opérationnelle. Cela m’a paru d’autant plus important que, selon des chercheurs, il n’y aurait plus que 34 démocraties (en 2022), bon nombre de nos partenaires ne pouvant se revendiquer d’un tel titre. Aussi, dans la mesure où la politique commerciale revêt une dimension géopolitique, on voit mal quel argument pourrait être évoqué pour ignorer les responsabilités de l’UE en matière de droits humains, droits figurant parmi les objectifs de la politique extérieure européenne.
J’ai demandé à deux experts, le Professeur Peter Van Elsuwege de l’Université de Gand et Joyce De Coninck de l’Université de Gand et de l’Université de New York de décortiquer le problème et d’émettre des propositions. Celles-ci ont été discutées avec des ONG actives dans le domaine.
Clauses précises. Les deux auteurs indiquent que pour être efficace, la clause démocratique doit être plus précise. Il faut spécifier ce qu’on entend par « violation grave » des droits humains, quels sont les indicateurs d’évaluation de la situation, les objectifs que les partenaires entendent poursuivre et les moyens à disposition pour y parvenir.
Plaintes et compensations. Un mécanisme de collecte de plaintes et de compensations des personnes lésées existe depuis peu dans l’UE. Il permet aux ONGs de saisir la Commission et lui demander d’enquêter dans le cas où des effets négatifs sur le plan de la durabilité sociale ou environnementale seraient le résultat d’un accord ou de politiques décidées par un partenaire.
Lorsque le but de l’UE est d’exiger du partenaire la mise en place d’un mécanisme de collecte de plaintes et de compensations des personnes lésées, elle peut envisager des modalités afin de limiter les accès préférentiels aux marchés tant que ceux-ci ne fonctionnent pas correctement. Cela dépendra en fonction du pays qui se trouve en face. Mais en tout état de cause, il faut que l’accord de commerce veille à poser comme exigence la mise en place d’un système efficace et indépendant de collecte de plaintes et d’obtention de réparations, compensations. C’est un prérequis absolu.
Droits humains. Les experts envisagent aussi de créer un mécanisme similaire qui ne traiterait que des plaintes ayant un lien avec les droits humains. Ce mécanisme serait logé dans le Service européen d’action extérieure (EEAS, l’embryon de ministère européen des affaires étrangères) qui publie un rapport annuel décrivant la situation des droits fondamentaux dans les pays partenaires. Ils plaident d’ailleurs pour une clarification des rôles et une meilleure coordination entre la DG Trade de la Commission qui s’occupe des affaires purement commerciales et l’EEAS.
On pourrait aussi concevoir que, à l’image de ce que font les États-Unis, l’accord de commerce crée un mécanisme de plainte qui pourrait déboucher sur un processus de consultations entre les parties. On se situerait ici à un niveau « État à État ».
Mécanisme de suivi. Il faudra aussi déterminer un mécanisme de suivi de la situation (par le biais d’une étude d’impacts de l’accord sur les droits humains par exemple). Les partenaires pourraient s’inspirer de l’approche du Parlement européen pour la réforme du Système de Préférences Généralisées (qui fait toujours l’objet de discussion avec le Conseil). Ce système garantit un accès préférentiel et sans contrepartie aux produits des pays en développement. Le Parlement y énumère de façon non exhaustive des cas pouvant donner lieu à des violations des droits humains en tenant compte du savoir des ONG et institutions internationales.
Sanctions. Enfin, en dernier recours et lors de violations, il faut prévoir des sanctions. Celles-ci pourraient prendre la forme d’un relèvement des droits de douane sur certains produits stratégiques exportés par le partenaire, le temps que la situation rentre dans l’ordre.
L’attrait du marché UE. Les experts estiment aussi qu’il conviendrait d’utiliser l’attrait exercé par le vaste marché européen pour demander à nos partenaires des progrès réels sur certains aspects spécifiques avant même la conclusion des négociations d’un accord. Ces progrès devraient continuer à être surveillés après la ratification de l’accord pour éviter un relâchement.
Pour moi, la prochaine étape sera de mettre en discussion l’étude et ses recommandations avec des représentants de la Commission européenne. J’organiserai dans les prochaines semaines un séminaire, et j’espère que cet échange de vues nous permettra de faire avancer les droits humains.