Ce jeudi soir, j'ai eu l'occasion de débattre sur l’état de la biodiversité avec Amaury Fraenkel de Natagora à l'occasion de la projection du documentaire "La Fabrique des Pandémies".
Que dit la science?
A travers des interviews d'experts, le documentaire, tiré d'un ouvrage éponyme de Marie-Monique Robin, explique comment nous participons à l'émergence de virus comme la covid-19 ou encore le SIDA. L'assouvissement de nos besoins de consommateurs conduit, loin de nos yeux, à des déforestations ou à des pratiques agricoles intensives ainsi qu’à l’éparpillement urbain. Il en résulte une disparition d'espèces, des destructions d'écosystème et des contacts plus fréquents entre espèces porteuses de maladies infectieuses pour les humains et nous. Dit plus simplement, la sur-consommation, qui mène à une surexploitation des ressources et à une perte de biodiversité, favorise l’émergence de pandémies.
Et cela ne fait que s'accélérer. Dans les années 1970, une nouvelle pathologie infectieuse était découverte tous les 10-15 ans. Depuis les années 2000, 5 émergences sont identifiées par an. Pour les scientifiques interrogés, “La solution n’est pas de courir après un énième vaccin, censé protéger contre une énième maladie infectieuse, au risque d’entrer dans une ère de confinement chronique de la population mondiale, mais de s’interroger sur la place des humains sur la planète, sur leur lien avec le reste du monde vivant.”
La protection biodiversité doit être une priorité politique
En mai 2022, quelques mois après le vote de mon rapport parlementaire sur les impacts du commerce international sur la biodiversité, j’organisais une première projection du documentaire à Bruxelles. Depuis lors, de nombreuses choses ont changé. Le déconfinement, la guerre en Ukraine et l’inflation sont passés par là. Il est, néanmoins, crucial de tirer les conclusions de la crise du covid-19 en termes de biodiversité.
Par ailleurs, des avancées ont eu lieu, notamment l’accord qui a résulté de la COP15 sur la biodiversité qui s’est tenu en décembre dernier. Je ne sais pas si on peut dire que ledit accord de Kunming-Montréal est l’équivalent pour la biodiversité de l’Accord de Paris, mais en tout cas, cet accord est plus précis et concret que tout ce qui a pu précéder. Ainsi, les parties signataires se sont engagées à protéger 30 % des terres et 30 % des zones maritimes de la Planète. Pour cela, elles devront mettre en place des stratégies pour la biodiversité, avec des objectifs concrets, impliquer les parties prenantes, etc. Une actualisation des objectifs est prévue à intervalles réguliers sur base d’un suivi des progrès. Ce type de cadrage ouvre la voie à ce que, conformément à une proposition que j’avançais dans mon rapport parlementaire, la Convention sur le Diversité Biologique acquiert le même statut que l’Accord de Paris dans les accords de libre-échange négocié par l’UE. Cela implique, qu’en cas de violations flagrantes de leurs engagements environnementaux par nos partenaires, l’UE pourra déclencher des sanctions économiques. De quoi amener chacun à prendre la Convention très au sérieux. Afin de battre le fer tant qu’il est chaud, j’ai sans tarder poser une question à la Commission européenne sur la mise en place d’un tel dispositif.
Tout ceci est important pour préserver la biodiversité et restaurer les écosystèmes là où les dégâts ne sont pas irréversibles. Il est également urgent de réduire les risques de propagation de virus zoonoses, virus qui peuvent se transformer en pandémies dévastatrices comme celle que l’on a traversée. “Quand la biodiversité se réduit en raison des activités anthropiques, les premières victimes sont les grands prédateurs et les herbivores, comme les lions, girafes et éléphants, ce qui entraîne la prolifération de petits mammifères comme les rongeurs, qui hébergent les trois quarts des virus zoonotiques », peut-on lire (p.143) dans le livre « La Fabrique des Pandémies ».
Par contre, alors que l’ONU a adopté en juillet une résolution sur le droit à un environnement sain, les travaux à l’Organisation mondiale du Commerce visant à établir un traité commercial sur la préparation et les réponses aux pandémies patinent. A mesure que la pandémie reflue, ce sujet risque de disparaître de l’agenda politique international. Pourtant, et nonobstant l’Accord de Kunming-Montréal, la menace pandémique n’est pas écartée pour toujours. D’ailleurs, pas plus tard que le 11 janvier 2023, le World Economic Forum, cheville ouvrière du Forum de Davos, produisait un rapport sur les plus grands risques mondiaux. Selon eux, la perte de la biodiversité et l'effondrement des écosystèmes sont classés à la 4e place des risques les plus graves dans le long terme.
Que fait l’Europe?
Heureusement, du côté européen, une législation sur le « devoir de vigilance » (due diligence) est en cours de négociation. Elle prévoit que les entreprises doivent intégrer les risques que leurs activités peuvent faire courir à l’environnement et à la biodiversité. Et, en cas de problèmes, elles devront y remédier et seront tenues de réparer les dommages éventuels.
Les chantiers restent nombreux, de l’accord potentiel de libre-échange avec le Mercosur à la mise en oeuvre de la stratégie de la Ferme à la Table en passant par la directive sur la criminalité environnementale pour laquelle je suis rapportrice, et je ne manquerai pas de revenir sur ces sujets au cours des prochains mois.