Nous voterons le 8 mars en session plénière le rapport Wolters sur le devoir de diligence des entreprises et de leurs sous-traitants. Si le Parlement européen confirme la direction prise en commission des affaires juridiques, cela montrera à la Commission le niveau d’ambition que celle-ci devra atteindre lorsqu’elle déposera sa proposition de législation sur la responsabilité sociale et environnementale. Ce texte doit permettre d’en finir avec les abus économiques, sociaux et environnementaux des entreprises. Et ce, qu’elles en soient responsables directement, ou via les actes de leurs fournisseurs.
Les violations des droits humains, sociaux et environnementaux par un monde économique orienté sur le profit à court terme sont aujourd’hui encore monnaie courante. En parallèle, de plus en plus d’entreprises réclament une telle législation, condition d’une compétitivité saine et équitable entre les entreprises qui seraient toutes tenues de respecter les mêmes règles (“level playing field”).
La Commission européenne a annoncé une législation sur le devoir de vigilance des sociétés au printemps de cette année. Le signal que nous, eurodéputés, lui envoyons est qu’il est urgent d’adopter une législation assurant que les entreprises soient tenues responsables des effets négatifs de leurs activités sur les droits humains, l’environnement et la bonne gouvernance.
Le reportage #Investigation de la RTBF sur le “Royaume de la frite surgelée” révèle de tels abus. Dans ce cas, ils sont proches de chez nous, et non en bout de chaîne dans les pays du Sud comme c’est trop souvent le cas. Cette législation doit précisément répondre à ce genre de problématiques, avec l’obligation pour les entreprises d’inclure des mécanismes de reporting non-financier (basé sur des informations sociales et environnementales).
Le rapport contient des exigences dont la Commission européenne devra tenir compte dans sa proposition législative :
-Les entreprises européennes et celles qui commercialisent leurs produits sur le marché européen devraient identifier, traiter et corriger leur impact potentiel et avéré sur les droits humains, notamment les droits sociaux, commerciaux et des travailleur.euse.s; sur l’environnement y compris la contribution au changement climatique et sur la bonne gouvernance
-Ce devoir de diligence devrait s’appliquer “tout au long de leur chaîne de valeur”. Cette précision est importante, car elle signifie que les multinationales ne pourront plus se défausser sur leurs fournisseurs
Si ces demandes entrent effectivement dans la législation européenne et qu’un mécanisme de suivi sérieux est mis en place, l’impact pourrait être important pour l’ensemble de l’économie. La plupart des multinationales étant actives sur le marché européen, elles seront nombreuses à devoir se plier à ces règles. Et à travers leur intermédiaire, tout leur réseau de fournisseurs et sous-traitants serait concerné.
Je me félicite également de constater qu’avec une telle législation, nous irons un cran plus loin dans nos exigences vis-à-vis du monde économique. L’approche volontariste du développement durable, prônée par les milieux économiques et que la Commission européenne a décidé de suivre, a montré ses faiblesses. On l’a encore vu récemment dans le cadre de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud. La Commission, qui avait fait appel au panel d’experts prévu pour trancher un litige lié au développement durable, s’est faite rappeler à l’ordre. Les juges ont estimé que Séoul avait fait des efforts, malgré l’absence de résultats. Ils ont donc donné tort à la Commission ! Cela confirme qu’il est plus que temps d’imposer des règles contraignantes.
Un autre aspect de ce rapport me réjouit : la possibilité donnée aux victimes de demander des comptes. Cela va changer la donne pour des communautés entières. Je pense là à celles affectées par le rejet de polluants toxiques en bordure de zones minières ; à celle qui ont souffert de catastrophes telles que l’effondrement du barrage de Brumadinho (259 morts) ; aux victimes de travail forcé ; aux enfants obligés de travailler malgré conventions internationales pour bannir les «pires formes de travail»…
Le secteur du textile pourrait également être concerné. C’est un domaine qui concentre les principaux maux de la mondialisation. Pollution, conditions de travail déplorables (souvenez-vous de l’effondrement du bâtiment Rana Plaza et ses 1.100 victimes), droits des travailleur.euses non respectés, rejet d’effluents chimiques qui contaminent les eaux et les rendent impropres à la consommation… Imposer un devoir de diligence aux entreprises et ouvrir la porte à des indemnisations des personnes lésées aura le pouvoir de changer la donne. La Commission européenne a également prévu de présenter une stratégie pour ce secteur. Je veillerai à ce que le devoir de diligence y figure en bonne place.
Bien sûr, cette perspective ne réjouit pas tout le monde. L’organisation patronale Business Europe a commencé son travail de lobbying au plus haut niveau, avec l’espoir de limiter la portée du texte à venir. Elle a été rejointe dans ses tentatives par d’autres organisations, notamment de bijoutiers, qui s’inquiètent des conséquences que ces règles pourtant essentielles pourraient avoir sur leurs affaires.
Mais toutes les organisations ne s’opposent pas à une telle législation. Début février, 60 entreprises et fédérations ont adressé une lettre au gouvernement belge. Elles lui demandent d’élaborer « un cadre juridique national obligeant les entreprises à prendre leurs responsabilités en matière de respect des droits humains et de l’environnement dans leurs filières d’approvisionnement ». Une telle législation est importante pour les entreprises responsables : elles ne veulent pas continuer à subir une concurrence déloyale de la part d’organisations qui ne se soucient pas des droits humains.
L’adoption de ce rapport sera un premier pas. Nous attendons avec impatience les propositions du commissaire à la Justice, Didier Reynders, qui donneront le ton de la législation à venir. Mais une chose est certaine : il ne pourra ignorer les demandes claires et fortes du Parlement européen.
En Wallonie picarde, des géants de la frite surgelée et des abus
Début mars, un reportage de la RTBF se penchait sur le business de la frite surgelée en Wallonie Picarde. On y découvrait le poids de ce secteur économique, qui exporte des frites surgelées aux quatre coins du monde. On pourrait s’interroger sur l’opportunité d’envoyer nos sachets de pommes de terre surgelées aussi loin, alors que ce féculent pousse un peu partout sur la planète. Ce modèle économique pose aussi question en termes de responsabilité des entreprises. La RTBF dénonçait un non-respect des droits des travailleurs, des accidents de travail à répétition, des pollutions, un appauvrissement des sols… Ce reportage confirme que, à tous les niveaux, il y a urgence à responsabiliser les entreprises, et surtout qu’il faut doter la justice de moyens pour faire appliquer les règles. Cela montre aussi qu’il est nécessaire de créer un crime d’écocide, afin que les atteintes à la terre deviennent punissables.