La commission Commerce international (INTA) du Parlement européen a largement adopté mon rapport (33 votes pour, 1 contre, 7 abstentions) sur les impacts de la politique commerciale sur la biodiversité. Ce rapport contient un ensemble de recommandations politiques afin de rendre notre modèle commercial plus respectueux de l’environnement.
Le Green Deal présenté par la Commission européenne en 2019 et, plus particulièrement, sa Stratégie pour la biodiversité, doivent orienter l’ensemble des politiques européennes pour atteindre les objectifs fixés. Parmi ceux-ci, celui de parvenir à une société zéro carbone en 2050.
Le contexte de pandémie et la perspective de la révision de la politique commerciale européenne ont ouvert l’espoir d’une prise en compte des objectifs du Pacte vert européen. Force est pourtant de constater que la Commission européenne se borne à prôner une politique commerciale bien éloignée des préoccupations climatiques. En témoignent sa nouvelle stratégie commerciale présentée en mars, ou son opposition effrontée à toute renégociation de l’accord EU-Mercosur.
C’est pourquoi nous avons pris l’initiative d’un rapport sur le commerce et la biodiversité. Alors que plus de 50% du PIB mondial dépend de la biodiversité, et que l’impact du commerce sur la perte de biodiversité et la propagation de zoonoses tels que la Covid19 est établi, il est indispensable d’adapter les politiques, dont la politique commerciale, aux objectifs climatiques et de biodiversité. C’est désormais une question existentielle et, bonne nouvelle, c’est possible.
Mon rapport doit être vu comme un ensemble de recommandations politiques qui viennent combler des lacunes dans la stratégie commerciale et tirer les leçons de la pandémie de Covid-19. Il s’agit aussi d’une contribution du Parlement européen au Sommet sur le Biodiversité de Kunming, initialement prévu pour l’automne 2020 et plusieurs fois reporté à cause de la situation sanitaire. Ce Sommet fait suite à celui qui s’était déroulé à Aichi en octobre 2010 et qui avait fixé des objectifs (non contraignants) pour la préservation et la restauration de la biodiversité. Ce rendez-vous international revêt une dimension stratégique particulière, alors que le monde sort avec grand peine de la pandémie.
Mon rapport sur les impacts de la politique commerciale sur la biodiversité a été adopté ce jeudi 15 avril en commission du commerce international. Cette étape vient couronner six mois de travail acharné et de rencontres avec nombre d’ONG, d’experts et de représentants de la Commission européenne.
Ce travail vient à point nommé car la Commission a présenté en février sa nouvelle stratégie commerciale, qui fournit le cadre de négociations pour de futurs accords internationaux. Or, celle-ci est très légère dans la manière dont elle fait écho au Green Deal européen et sa stratégie pour la biodiversité.
Il est acquis que le commerce international a de lourdes conséquences sur la biodiversité. Pour ne citer que quelques chiffres, retenons qu’il est responsable de la disparition de 30 % des espèces. Ou encore qu’un accord de commerce comme celui qui est actuellement négocié avec les pays du Mercosur est susceptible d’accroître la déforestation de 25 % à moyen terme. Les experts rencontrés par Marie Monique Robin pour son livre “La fabrique des pandémies” expliquent comment les déforestations et l’agriculture intensive, en détruisant les habitats naturels, amènent des chamboulements au niveau de la flore et de faune, y compris au niveau physiologique, le stress occasionné étant propice à la sécrétion de substances virales. Dans ce contexte de pression, les espèces survivantes trouvent refuge à proximité des activités humaines et des logements de communautés locales. Ce rapprochement, la multiplication des contacts et des déplacements facilitent la transmission d’agents pathogènes, de zoonoses par le biais d’espèces domestiquées comme les cochons, excellents porteurs et transmetteurs, qualifiés de “pont épidémiologique”. Voilà en schématisant comment des accords purement économiques peuvent se révéler être des bombes à retardement sanitaires. Il est donc important que les négociateurs et responsables mettant en œuvre la politique commerciale n’ignorent pas ces répercussions et bien d’autres.
Retenons encore que la biodiversité est cruciale pour le bon fonctionnement des activités économiques. L’OCDE estime à 44.000 milliards $, soit plus de la moitié du PIB mondial, la valeur économique générée par la nature et les services qu’elle rend.
L’accord UE-Mercosur et la biodiversité
Des études d’impact préalables aux négociations commerciales et le principe de précaution
Mesurer, c’est savoir. Le point de départ de ma réflexion est de mettre l’accent sur les analyses d’impact. Celles-ci sont des études réalisées pour, en théorie, guider les négociateurs des accords de commerce et d’investissement de manière à ce que ceux-ci améliorent la situation sur les plans économique, social et environnemental. Or, il apparaît que la biodiversité est un enjeu rarement étudié.
C’est ainsi que dans les 287 pages de l’analyse d’impact de l’accord UE-Indonésie, seulement trois petites pages abordent la question. Et encore, le focus est mis sur les… cuisses de grenouilles. Idem dans les 400 pages de l’analyse d’impact soutenant l’accord UE-Mercosur, alors que l’Amazonie est l’une des zones les plus riches en termes de diversité biologique. Mais, on ne peut pas tout mesurer et c’est encore plus vrai lorsque l’on approche de points de bascule, c’est-à-dire lorsque la dégradation d’écosystème devient irréversible et crée des effets d’emballement, des cercles vicieux. C’est pourquoi le principe de précaution doit rester au cœur des préoccupations.
Ces analyses d’impact, même si elles sont imparfaites et approximatives, sont souvent ignorées par les négociateurs. Mon rapport préconise donc de les utiliser pour fixer des recommandations et des objectifs avant la conclusion même des accords (j’insiste, puisque l’étude d’impact UE-Mercosur vient seulement d’être finalisée… Deux ans après la fin des négociations!) pour évaluer la bonne volonté des partenaires.
Concernant les objectifs, il peut s’agir d’atteindre une superficie suffisante de zones protégées, un niveau adéquat de financement ou l’indépendance d’agence de supervisions de l’état de l’environnement, la participation des organisations de la société civile, etc… Pour suivre l’évolution des progrès, la démarche s’accompagne d’un calendrier de mise en œuvre et d’analyses d’impact à intervalle régulier, pour assurer que tout se déroule comme convenu.
Je me réjouis aussi que l’amendement tellement discuté durant les négociations de ce rapport sur le Traité sur la Charte de l’Energie dont je vous parle depuis longtemps a été endossé. Il est question de demander une analyse indépendante des effets des mesures de protection des investissements dont l’ECT, sur la biodiversité et dans le cas où les conclusions sont préoccupantes, cela contribue à envisager une sortie de ce traité.
Nous demandons aussi que les clauses de révision contenues dans les accords existants soient activées par la Commission de manière à mettre ces textes en phase avec les ambitions du Green Deal. Les accords sont en effet des textes susceptibles d’évoluer : ils contiennent des dispositions pour leur mise à jour. Cela ne doit pas rester lettre morte.
L’introduction de sanctions en cas de non-respect des engagements sociaux et environnementaux
La demande venant du Parlement européen n’est pas neuve : il nous semble important de rendre les chapitres de développement durable des accords commerciaux contraignants et assortis d’un système de sanctions dans le cas où les engagements sociaux et environnementaux sont bafoués. Par ailleurs, nous demandons que le degré d’ouverture des marchés dépende de la mise en œuvre effective des accords environnementaux multilatéraux. Parmi ceux-ci, on pense naturellement à l’accord climatique de Paris lequel est reconnu comme “élément essentiel” des nouveaux accords de libre-échange. Mon rapport plaide pour l’ajout à ces éléments essentiels de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). De la sorte, cela forcerait les négociateurs à prendre davantage au sérieux les enjeux liés à la biodiversité, à les examiner de manière plus fine et à définir en conséquence des dispositifs plus solides. Notons au passage que cela impliquerait que tout futur grand accord avec les Etats-Unis ne puisse être envisagé qu’à compter du moment où ceux-ci ratifieraient enfin la CDB.
Responsabilité sociétale des entreprises et ‘level playing field’
L’UE s’est dotée d’une stratégie biodiversité et d’une stratégie complémentaire “de la fourche à l’assiette”, porteuses de changements, notamment pour le monde agricole. Il faut s’assurer que les producteurs européens participant à cette transition ne soient pas lésés parce que leurs concurrents de pays tiers profiteraient de normes moins exigeantes. C’est pourquoi il est important d’assurer un “level playing field” qui vise à sécuriser, au-delà de la protection de la nature, les intérêts économiques de tous les acteurs et actrices. Ce rapport note également que la future proposition législative sur les responsabilités sociétales des entreprises (due diligence), attendue pour cet été, devra contenir des dispositions pour que les entreprises intègrent les possibles conséquences de leurs décisions sur la biodiversité.
OMC et mesures de protection de l’environnement
Bien entendu, l’UE et les États membres sont tenus de respecter les règles de l’OMC. Mais contrairement à ce que certains pensent, celles-ci ne sont pas coulées dans le marbre, et peuvent tout à fait évoluer. Ainsi, nous demandons que la Commission plaide pour une meilleure reconnaissance des flexibilités accordées aux pays lorsqu’ils prennent des mesures de protection de l’environnement. L’objectif est que celles-ci ne soient pas contestées au motif qu’elles seraient un frein au commerce. Nous allons même un cran plus loin, en demandant que lorsqu’un tribunal arbitral est saisi par un investisseur mécontent, des experts de l’environnement (et pas seulement des avocats d’affaires) soient amenés à trancher du caractère proportionnel, non-discriminatoire et justifié de la mesure environnementale contestée. En effet, jusqu’à présent, celles-ci sont souvent remises en cause, puisque les arbitres ne se préoccupent que du libre-échange. Nous demandons également que les accords de protection des investissements soient évalués au regard de leurs répercussions potentielles sur la biodiversité. Enfin, nous préconisons la conclusion d’un accord au niveau de l’OMC visant à bannir le commerce de certaines matières premières et produits dès lors que leur extraction, transformation ou production mettraient en danger la biodiversité.
Un calendrier pour mettre un terme aux investissements nocifs à l’environnement
La nocivité des subsides dommageables à l’environnement est souvent pointée du doigt, et on lit régulièrement qu’il faudrait œuvrer à leur diminution graduelle jusqu’à leur éradication. Il ne s’agit pourtant que d’un vœu pieux, puisque aucun mécanisme n’est proposé pour y parvenir. A nouveau, nous appelons la Commission à déterminer une feuille de route, un calendrier, pour y parvenir, et à mettre la neutralité climatique et carbone au centre des accords de commerce.
Un point d’accroche entre les groupes parlementaires a porté sur le commerce illégal d’espèces sauvages. J’ai dû mettre de l’eau dans mon vin, mais je ne suis pas mécontente du résultat.
Limiter le commerce aux espèces enregistrées
Nous demandons à la Commission d’explorer la faisabilité de n’autoriser le commerce légal d’espèces sauvages que si celles-ci sont répertoriées dans un registre. Pour l’instant, le commerce est permis par défaut, sauf s’il est expressément prévu qu’il est interdit pour les espèces les plus menacées. On constate également que le commerce illégal d’espèces n’est pas une priorité pour les douaniers, même si cette activité est la 4e plus rentable pour les criminels!
Nous proposons aussi un mécanisme pour aider les pays tiers à protéger les espèces qui ne sont pas (encore) reconnues par CITES mais que eux estiment mériter un traitement particulier.
Un moratoire sur les importations d’espèces issues de pays à risque
Le commerce d’espèces sauvages peut être un facteur de dissémination d’agents pathogènes. Nous proposons de briser un tabou en demandant à la Commission un moratoire sur les importations sur le territoire européen d’espèces issues de pays dont on sait qu’ils sont particulièrement exposés à ce type de risque (le Brésil, ou divers pays d’Asie du sud-est). En attendant, les plateformes de coopération établies par les accords de libre-échange doivent être mobilisées pour revoir à la hausse les normes sanitaires et phytosanitaires de nos partenaires lorsque cela s’avère opportun.
Une agriculture et des chaînes d’approvisionnement durables
Étant donné que l’agriculture intensive est l’un des principaux facteurs de perte de biodiversité, le rapport demande à la Commission de promouvoir les principes véhiculés dans la Stratégie de la Fourche à l’Assiette (dont les normes en matière de bien-être animal souvent négligées ou inexistantes au dehors de nos frontières), l’agriculture biologique et les circuits-courts (le nom ne plaisant pas à certains groupes politiques, nous nous sommes mis d’accord sur “sustainable supply chains”) dans les accords de commerce. En tant que premier importateur et exportateur de produits agro-alimentaires, l’UE a la capacité d’utiliser l’attraction de son marché unique pour forcer à des changements de comportement dans d’autres parties du monde. A nouveau, nous demandons à la Commission qu’elle dégage des fonds pour une étude indépendante sur les effets des exportations agricoles européennes sur la biodiversité et qu’elle proscrive les exportations des produits dangereux interdits sur le territoire européen comme certains pesticides. L’exemple du Mercosur est interpellant : il prévoit l’exportation de produits chimiques vers ces pays, alors qu’ils sont ou seront bientôt interdits en Europe. Ces produits chimiques pourraient ensuite être consommés sous forme de résidus dans les produits importés de ces pays.
Préserver les écosystèmes marins
L’avis n’ignore pas non plus la situation catastrophique des écosystèmes marins. Nous recommandons d’insérer dans les accords des dispositions qui contribueront à la protection de 30 % des océans d’ici 2030.
Contre toute attente, mon amendement sur la reconnaissance des écocides, que je n’avais pu faire passer dans le cadre de travaux dans mon autre commission parlementaire, est passé ! C’est une surprise de dernière minute, car les eurodéputés de la droite avaient manifesté leurs réticences. C’est un sujet qui me tient à cœur au point que j’ai rejoint l’alliance globale sur l’écocide, et que le travail parlementaire se poursuit pour cette reconnaissance en droit européen et international.
Concrètement, le rapport invite la Commission à travailler à un protocole à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et qui viserait à pénaliser les crimes contre la nature. Et sans attendre ce travail de longue haleine qui nécessitera le soutien de l’ensemble de la communauté internationale, nous lui demandons de traiter des écocides dans le cadre de la révision de la directive sur la criminalité environnementale qui est à ce stade trop molle.
Enfin, le rapport plaide pour que l’UE mobilise ses instruments de coopération et de soutiens financiers de manière à renforcer la capacité administrative et celle des organisations de la société civile dans les pays moins riches. Cela doit permettre que ces pays soient en pleine capacité d’agir en faveur de leur biodiversité. Les droits des communautés locales, des populations indigènes ainsi que des militants écologistes et des défenseurs des droits humains devraient d’ailleurs y être pleinement reconnus, conformément à des textes internationaux (par exemple la convention 169 de l’OIT).
Ce travail est le fruit de mes consultations et, au cours des deux derniers mois, des réunions avec les chefs de file des autres groupes politiques, où chacun a dû faire des compromis.
Le rapport adopté en Commission du commerce international constitue désormais une référence de ce que la politique commerciale peut mettre en œuvre pour limiter son impact sur la biodiversité et contribuer à sa préservation dans le cadre des relations économiques mondiales. Une trame de fond se dessine (certes trop lentement à mon goût) au sein des politiques européennes pour faire du Green Deal la boussole de toutes les politiques.