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Un rapport pour redéfinir les relations commerciales UE-Afrique

24-05-22

La Parlement européen votera fin juin un rapport sur les relations commerciales UE-Afrique pour lequel j’étais rapportrice fictive pour le groupe Verts/ALE. Partenariat entre égaux, stratégies d’investissements conformes aux besoins des pays africains, protection des industries naissantes… Ce rapport servira de base pour la négociation de futurs accords de partenariats économiques (APE). Tour d’horizon des points essentiels du rapport reflétant dans une large mesure mes 36 amendements.


Des infrastructures performantes

C’est l’une des difficultés de l’économie africaine : de nombreuses régions restent enclavées, insuffisamment connectées à l’économie régionale. 53% des routes ne sont pas pavées, et seule la moitié de la population des zones rurales a accès à des routes fonctionnelles. Cela a des conséquences bien concrètes : des producteurs ne peuvent valoriser leurs marchandises, notamment agricoles, faute de pouvoir les écouler dans des délais satisfaisants. Le Parlement européen insiste donc sur l'importance de tenir compte du besoin d’amélioration des infrastructures de transport.

Les infrastructures énergétiques font également partie des points d’attention. Le rapport met l’accent sur les énergies renouvelables et plus largement sur l’amélioration du réseau électrique. 

En matière de révolution numérique, l’Afrique ne doit pas rester sur le bord du chemin. A cet égard, le Parlement se positionne pour une collaboration UE-Afrique plus poussée, afin de résister à l’hyper-domination US et chinoise dans le secteur. L’UE doit soutenir l’Afrique avec l’aide des plateformes lancées par la CNUCED mises en place pour garantir des gains en termes de durabilité des transformations numériques, tout en respectant les principes de la protection des données.  


Assurer la sécurité alimentaire

L’invasion par la Russie de l’Ukraine, important producteur agricole, rappelle à quel point la sécurité alimentaire mondiale est fragile. Cela est encore plus vrai pour le continent africain, où plus d’une dizaine de pays dépendent largement des importations, notamment de blé, des deux pays. Cette situation est paradoxale, alors que le continent à tout pour produire suffisamment de nourriture pour sa population. La situation n’en est pas moins problématique pour l’ensemble du continent en raison de la hausse généralisée des prix alimentaires, de la même nature que celle qui avait donné lieu à des émeutes de la faim en 2008.

Le Parlement européen se positionne donc en faveur d’un cadre qui assure la sécurité alimentaire. Il nous semble indispensable de promouvoir l’agroécologie (pas question de reproduire le serreurs du passé, lorsque la promotion de monocultures, comme l’arachide en Afrique de l’Ouest, a détruit les sols), de respecter les droits des agriculteur.trices, de reconnaître les droits des populations autochtones (via la convention 169 de l’OIT relative à la participation des peuples autochtones), et de lutter contre l’accaparement des terres. 

Une autre piste pour assurer le développement du secteur agricole sur le continent est d’aider les producteurs locaux à relever leurs normes de production, afin de satisfaire aux exigences du marché européen (notamment en conséquence de la Stratégie de la ferme à la table), étant entendu que des produits de meilleure qualité bénéficieront aussi aux populations locales. 

Concernant le secteur spécifique du cacao, nous saluons l’Initiative pour un Cacao Durable, et demandons à la Commission européenne d’étendre à l’ensemble du secteur agricoles les engagements à payer des salaires décents et à éradiquer le travail des enfants. Ces engagements doivent, bien sûr, être accompagnés de mécanismes de suivi et de reporting transparents et fiables, afin qu’ils soient crédibles.


Reconnaître l’importance de la société civile

La réalisation des Objectifs de développement durables ne se fera pas sans la société civile. Il s’agit de l’impliquer, notamment dans le choix des priorités en matières d’infrastructure, dans les actions de protection/restauration de l’environnement ou de le contrôle des engagements sociaux et environnementaux pris dans le cadre d’accords de commerces, de valoriser leurs initiatives en termes de promotion des droits des travailleurs et de lutte contre les inégalités Il s’agit aussi de proposer que le dialogue politique intercontinental se double d’une plateforme similaire d’échanges entre les sociétés civiles respectives.


Des accords commerciaux justes

Concernant les Accords de partenariat économique, le Parlement rappelle sa demande d’une analyse approfondie des impacts des APE sur l’économie locale, sur l’intégration régionale, la diversification économique et les Objectifs de développement durable. Et cela doit être fait avant même de négocier de nouveaux accords ou d’en moderniser! 

Il faudra d’ailleurs les compléter de chapitres TSD (liés au développement durable) exécutoires et assortis le cas échéant de sanctions en cas de non-respect. Dans ce contexte, il faut pousser les principes du fair trade et de lutter contre le travail forcé et le travail des enfants, en particulier dans le secteur agricole (secteur qui représente 70 % des exportations africaines). La question du travail des enfants étant un dossier qui me tient particulièrement à cœur (j’avais commandé en 2021 une étude à ce sujet, qui listait des recommandations afin de combattre ce phénomène, après que les efforts entrepris jusqu’ici n’ai pas donné entière satisfaction), j’ai amendé le texte afin de mieux prendre en compte la lutte nécessaire contre ce fléau. A ce sujet, je vous renvoie vers cet autre article où je traite plus en profondeur de ce sujet.

En plus de ces chapitres de développement durable, il sera nécessaire de prévoir des chapitres dédiés aux questions du genre. La stratégie UE-Afrique doit viser à soutenir les femmes, à réduire les inégalités de genre (qui coûte 6 % de son PIB à l’Afrique!), notamment dans l’accès au crédit et aux droits fonciers et dans leurs droits en tant qu’héritières.

Enfin, il faut tirer les leçons des deux années de pandémie et des recherches identifiant les facteurs d’émergence et de propagation d’agents pathogènes qui ont donné lieu au coronavirus. Plusieurs régions d’Afrique sont des foyers potentiels de zoonoses ; par conséquent, le Parlement recommande que des analyses d’impacts sanitaires de risques de maladies émergentes et pandémiques soient réalisées avant le lancement de projets de développement et affectant l’utilisation des sols, lorsqu’ils sont soutenus par l’UE. Les entreprises et investisseurs européens en Afrique devraient être tenus de réaliser ce genre d’impacts. Les deux blocs doivent également travailler conjointement à faire advenir un traité à l’OMC sur la santé et le commerce pour réduire le risque de propagation de futures zoonoses. Il est indispensable que de futurs Accords de partenariat économiques contiennent des clauses en matière de biodiversité pour traiter de ce genre de risques (tant il a été démontré à quel point la perte de biodiversité a un impact sur l’émergence d’épidémies, comme en témoigne le film de Marie-Monique Robin, La Fabrique des Pandémies).


Un développement économique durable

Le rapport du Parlement se positionne également sur divers aspects importants dans l’optique d’un développement économique durable. Depuis quelques années, dans ses relations géo-économiques avec le reste du monde, l’Union européenne avance le concept d' “autonomie stratégique ouverte”. Une concrétisation de ce concept dans le cadre de nos relations avec l’Afrique peut passer par la relocalisation d’activités économiques chez nos voisins méditerranéens. Complémentairement, il s’agirait aussi de tirer parti des possibilités de coopération en matière d’économie circulaire et de verdissement des chaînes de valeurs. 

Dans le cas où le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (aussi appelé CBAM) ou la future législation anti-déforestation aurait des conséquences négatives pour l’Afrique, la Commission devra proposer des solutions pour réduire ces impacts, plaide encore notre rapport. Enfin, la mise en œuvre de la directive sur le devoir de vigilance et celle sur la déforestation devrait aussi avoir pour effet de garantir un salaire décent pour les travailleuses.eurs et petits exploitants, tout en leur donnant voix au chapitre dans la mise en œuvre de ces législations.

Enfin, nous insistons sur le besoin de lutter contre l’évasion fiscale et les flux financiers illégaux, notamment ceux causés par les groupes européens (perte fiscale de presque 90 milliards $ chaque année, 4% du PIB continental). Des programmes européens et l’ajout de clauses appropriées dans les accords de partenariat économique en cours de modernisation pourraient être utiles à cet égard.

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