La présidence allemande de l’UE semble ne plus avoir de problèmes avec l’accord UE-Mercosur au sujet duquel elle avait émis des critiques, certes moins fortement que le Président Macron. Elle a en effet mis à l’agenda d’un Conseil des ministres européens du 9 novembre l’accord qui, s’ils marquaient leur soutien, ouvrirait la voie à une ratification au Parlement européen et à une entrée provisoire de diverses dispositions. Mais, une analyse d’impact affinée demandée par la Commission européenne démontre une fois de plus les lacunes et problèmes posés par l’accord.
Il y a un an, on apprenait avec surprise la conclusion des négociations entre l’UE et les 4 pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). L’annonce a pris de court beaucoup de monde parce que les eurodéputés issus des élections du 26 mai 2019 étaient à peine installés et que les décideurs des vingt-huit ne parvenaient alors pas à s’accorder sur le successeur de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission.
L’accord UE-Mercosur est décrié parce qu’il renforce un modèle d’agriculture industrielle dopé aux pesticides – dont le Brésil abuse, parce qu’il déstructure les liens, notamment économiques, existant entre les pays d’Amérique latine et qu’il fragilise donc leur propre résilience.
D’un autre côté, il satisfait des secteurs européens comme l’automobile, la sidérurgie et les machines-outils. Par ailleurs, l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir a conduit à une recrudescence des méga-feux de la forêt d’Amazonie, à de nouvelles attaques à l’encontre des populations autochtones (renforcées depuis la crise du Coronavirus). Un deal économique ne fera que renforcer et cautionner un modèle qui exploite déjà largement les travailleurs et l’environnement au Brésil.
Alors qu’elle est censée guider les négociations pour en tirer le meilleur parti et corriger les éventuelles répercussions négatives, l’analyse d’impact de l’accord ne fut publiée que plusieurs mois plus tard. Et encore, s’agissait-il d’une version non aboutie et parcellaire, laissant de côté les aspects sociaux et environnementaux de l’accord.
Les Verts avaient donc fait réaliser une analyse alternative (retrouvez-en ma synthèse ici), laquelle a, sans ambiguïté, mis le doigt sur les problèmes évoqués ci-dessus.
Le 22 juillet la Commission a mis en discussion avec une série d’ONGs européennes une mouture quasi définitive de l’analyse d’impact réalisée par le consultant LSE Entreprise (!).
Ce document actualisé de plus de 400 pages surprend en ce qu’il continue à minimiser les impacts en termes d’émissions de gaz à effet de serre. L’étude considère que les pays du Mercosur génèrent peu de GES (3,5 % du total mondial, l’UE 9,5%) et que, à l’exception de l’Argentine, leur mix énergétique est plus vert que celui des Européens. Les auteurs semblent aussi partir du principe que le surcroît de production agricole (soja, boeuf, sucre principalement) consécutif à l’accord, découlera d’une amélioration de la productivité, davantage que d’une expansion des surfaces dédiées à ces cultures. Nonobstant ce pari qui nous laisse sceptique au regard de l’actualité de la dernière année, l’augmentation des flux commerciaux entraînera de facto une hausse du transport de marchandises et par conséquent, des émissions associées. Comment cet aspect peut-il être passé sous silence ? Ces émissions ne sont pas comptabilisées au motif que l’impact ne serait pas significatif…
Quant à la déforestation, les auteurs rappellent que celle-ci a ralenti entre 2004 et 2012 et donc que les politiques mises en oeuvre sont importantes pour enrayer ce phénomène. Or, la situation est tout autre depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro : en 2018, la déforestation aurait connu une hausse de 13 %, et en 2019 de 27 % par rapport à l’année précédente ! L’analyse d’impact considère dans un premier temps que le risque est limité même si dans l’un ou l’autre paragraphe, elle nuancera le propos.
Si l’accord fait l’objet d’un traitement prioritaire pour la Commission et nombre de décideurs européens, son impact économique dérisoire est confirmé : dans le meilleur des scenarii, le PIB de l’UE grimperait d’ici 2032 de… 0,1 % (15 milliards d’euros) et celui des pays partenaires de 0,3 % (11 milliards d’euros). Les conséquences en termes de réduction de la pauvreté (au Brésil) ne sont pas significatives. L’Uruguay et le Paraguay ne devraient guère tirer d’avantages économiques à l’accord.
Les auteurs recommandent, pour faire face aux aspects sociaux les plus dommageables, de renforcer les politiques redistributives et de lutte contre la pauvreté dans les pays du Mercosur, de rehausser les programmes de formation continue et de renforcement les droits des travailleurs par la ratification et la mise en oeuvre des conventions fondamentales sur la liberté d’association et la négociation collective (en particulier au Brésil, pays plutôt hostile aux syndicalistes). Les services d’inspection sociales doivent être mieux équipés et la lutte contre le travail des enfants intensifiée et mieux financée. Mais de tout ceci, on ne trouve nulle trace dans l’accord de libre-échange !
L’UE devrait adopter une législation sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE ou “due diligence”) pour veiller à ce que nos entreprises actives dans le Mercosur se comportent correctement.
Le chapitre sur le “commerce et le développement durable” (“TSD chapter”) devrait être couvert par le mécanisme de règlement des différends pour assurer qu’en cas de problème sur ce plan, on puisse le dénouer de manière efficace, c’est-à-dire sans s’enliser dans des palabres et des rapports non contraignants. Il faudrait aussi que les organisations de la société civile présentes dans le “comité TSD” mis en place en application de l’accord (comme c’est généralement le cas depuis plusieurs années) puisse procéder à un suivi régulier (tous les 2-3 ans) en concertation avec les organisations internationales compétentes dans les principales politiques.
Pour minimiser les conséquences environnementales, l’étude recommande d’améliorer les politiques anti-déforestations. Par exemple, en reconduisant et étendant à d’autres régions brésiliennes (Cerrado) le moratoire sur le soja cultivé sur des terres déboisées après 2006 et qui n’a plus accès aux circuits commerciaux. Le moratoire sur le boeuf devrait être mieux mis en oeuvre et surveillé par les autorités brésiliennes, notamment par l’imagerie satellite. L’Argentine doit accomplir des efforts de même nature et les quatre pays devraient harmoniser leurs réglementations anti-déforestations et leur mesures de suivi. Ils devraient aussi réévaluer leurs usages des pesticides et fertilisants (le Brésil étant le paradis de l’agriculture chimique) et être plus vigilants quant à la pollution et l’utilisation de l’eau. Le Brésil, l’Argentine et l’UE devraient davantage collaborer sur la protection de l’océan atlantique, en particulier dans la mise en réseaux de leurs chercheurs. L’économie circulaire devrait être encouragée au sein des pays du Mercosur, de même que le transfert de technologies vertes.
Sur le plan des droits humains, l’étude a examiné 4 dimensions :
Ici, l’étude soulève le risque de fuite des cerveaux et de méfiance des consommateurs pour cause de normes phytosanitaires dans les pays du Mercosur bien inférieures à celle de l’UE. Nous pointions ce dernier aspect comme étant un problème majeur notamment en raison de l’affaiblissement des contrôles prévus par l’accord.
Si la situation des populations autochtones en Argentine et au Paraguay s’est améliorée ces dernières décennies, on constate une dégradation au Brésil depuis 2014. Les auteurs ne mâchent pas leurs mots et leur ton tranche avec le style éditorial de ce genre de publications : “the recent situation in Brazil gives rise to considerable concerns”. Et de pointer (même en les minimisant cependant) les risques accrus dans les pays de la région du fait de l’expansion de la production bovine.
A nouveau, la responsabilité sociétale des entreprises est mise en avant. Une série de propositions visant à consolider le secteur de la santé est présentée avec l’assistance technique de l’UE. Les auteurs appellent à un financement adéquat des institutions oeuvrant pour la protection et la défense des intérêts des populations autochtones. Fait assez rare : ils demandent que le Brésil retire le projet de loi actuellement en discussion et visant à s’approprier les terres des autochtones pour y accroître la superficie des terres exploitables. Le principe d’information préalable, libre et informée des populations autochtones doit en tout cas être dûment respecté.
L’étude reconnaît aussi que les femmes ne devraient pas gagner grand-chose à l’accord parce qu’elles sont sous-représentées dans les régions et secteurs gagnants. Il faudrait veiller à offrir un soutien aux femmes à la tête d’exploitations agricoles et mener des campagnes contre les violence domestiques.
Toutes ces recommandations auxquelles nous souscrivons sont révélées un an après la conclusion des négociations, c’est-à-dire lorsque l’accord ne peut plus être modifié. C’est dire à quel point les analyses d’impact ne guident en rien la manière dont la Commission européenne négocie les accords de libre-échange et que seuls prévalent les intérêts économiques des grands lobbies déconnectés de toutes préoccupations sociétales. L’étude, même si elle minimise les impacts, montre que contrairement à ce que prétend la Commission, l’Accord de Paris ne peut pas être pris au sérieux dans l’accord car il en ignore toutes les balises.
Il ne reste qu’à conscientiser les États membres quant à l’existence de toutes ces failles s’ils doivent voter l’accord UE-Mercosur le 9 novembre comme le souhaite la présidence allemande.