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Où vont les déchets textiles issus de la surconsommation européenne ?

14-10-25

Ce mardi 14 octobre, je mettais en discussion au Parlement européen une étude commandée à Audrey Millet, l’expert de la mode et autrice de plusieurs livres et études à ce sujet. Cette étude s’intéresse aux conséquences de notre surconsommation de vêtements et plus précisément sur ce que nos vêtements usagés deviennent lorsqu’on s’en débarrasse. 

On connaît les difficultés des entreprises de l'économiste sociale en charge de la collecte et du tri. Des mesures ont été prises à différents niveaux pour les aider à gérer les flux. Mais au-delà de ça, on perd de vue que ce sont les pays en développement qui sont ceux qui reçoivent au final la plupart de nos déchets et qui doivent les gérer avec des moyens limités, voire inexistants.

Et ce n’est pas une mince affaire car, en 2020, les Européens généraient 12 millions de tonnes de déchets textiles ; on peut s’attendre à ce que ce chiffre soit encore plus élevé aujourd’hui. Le volume total des exportations de ces déchets textiles est également en hausse. En 2022, il s’agissait de 1,73 million de tonnes. Cela ne vous dit rien comme cela ? Et si je vous dis que ça représente 170 Tours Eiffel ? Je vous laisse quelques secondes pour tenter de réaliser.

La Belgique est le 4e pays européen le plus exportateur de déchets avec 12% du volume total exporté. Ca fait à peu près 83 Atomium...

Les principaux pays de destination de nos déchets sont le Pakistan, l’Inde, l’Ukraine, la Tunisie et la Turquie et le Ghana.

 

Traiter ces déchets

Les filières de recyclage ne sont pas en mesure de traiter de tels volumes qui de plus peuvent dégénérer en problèmes sanitaires.

L’étude que j’ai commandée dresse un état des lieux des pays de destination de nos déchets comme le Pakistan, l’Inde, l’Ukraine, la Tunisie, la Turquie et le Ghana et d’autres pour lesquels on dispose de données. Certains pays comme le Chili manquent à l’appel.

Tackling the EU export of textile waste

Tout récemment, le 10 septembre dernier, un accord a été trouvé sur nouvelle législation, la Directive Cadre sur les Déchets. Cette directive s’attaque aux déchets alimentaires et textiles. Il est ici question d’imposer une responsabilité élargie des producteurs et la contribution financière des producteurs sera modulée en fonction des critères d’écoconception. Avec la possibilité de frapper plus lourdement la fast fashion. Sont concernés les vêtements, mais aussi linge de lit, rideaux, chaussures, voire matelas. La directive veille aussi à limiter l’exportation de déchets textiles qui ne seraient plus réemployables.

Cette directive vient compléter une autre qui portait sur l’écoconception des produits et mettait en place un passeport numérique contenant des informations sur le potentiel en termes de durabilité, de recyclabilité, d’usage des produits, notamment textile.

On progresse et c’est tant mieux.

Mais il n'en demeure pas moins que cette directive fera sentir ses pleins effets d’ici quelques années et que cela ne changera rien fondamentalement à l’amoncellement de déchets textiles aux quatre coins du Sud global, depuis le désert d’Atacama au Chili à l’Inde et au Pakistan en passant par l’Ouganda, le Ghana, la Turquie, voire l'Ukraine. Soit tous des pays qui disposent de capacités d'investissement restreintes, où les salaires sont parfois dérisoires, où les technologies nécessaires ne sont pas disponibles et où les législations sociales et environnementales peuvent s’avérer défaillantes. Des pays envers lesquels nous, Européens, devons assumer les conséquences de notre surconsommation.

L’étude recommande notamment de dégager un montant de 4,35 milliards d’euros d’argent public et privé sur 5 ans pour traiter le problème à l’échelle globale et avec les pays et marques et producteurs concernés. Ce montant recouvre une enveloppe de 225 millions d’euros pour les inspections environnementales afin d’éviter que des déchets textiles quittent indûment le territoire européen. 500 millions d’euros sont envisagés pour mettre à niveau les infrastructures de traitement des déchets. Un budget de 200 millions d’euros est identifié pour la protection sociale des travailleurs (droits sociaux, salaires décents, formation, santé & sécurité). Enfin, la part du lion (3,5 milliards d’euros) consiste en la mise en place d’un mécanisme multilatéral inspiré par l’Initiative pour un Cacao Durable et impliquant les pays européens, les pays receveurs des déchets et les marques, l’essentiel visant l’amélioration des structures de recyclage, et par l’assistance technique. Des groupes de travail fourniront des recommandations sur les différentes dimensions de la problématique (procédure douanière et traçabilité, infrastructures de recyclage, marché de la seconde main, conditions de travail et formation).

 

L’étude de 2023 sur les produits chimiques interdits dans les importations textiles

Cette étude suit une précédente déjà produite à ma demande par Audrey Millet sur la présence de produits chimiques interdits en Europe mais que l'on retrouve quand même dans les importations de textile de vêtements, de chaussures, de matelas, etc. en provenance de pays tiers. Saviez-vous que 8.000 substances chimiques de synthèse sont utilisées dans les processus de fabrication ?

Aujourd’hui, il est largement documenté -mais encore trop peu connu dans l’opinion publique- que les substances chimiques contenues dans nos habits sont responsables de maladies allant de réactions cutanées à des cancers. Des analyses ont même révélé que les bébés dans le ventre de leur mère ne sont pas épargnés, car les substances chimiques sont telles qu’elles traversent l’épiderme et s’enfoncent dans les organes, traversant même le placenta. Dès lors, avant même leur naissance, les bébés peuvent être contaminés. D’où l’importance de laver une ou deux fois les vêtements avant de les porter.

Le rapport concluait qu’il y avait effectivement des lacunes dans l'application des législations européennes - en particulier celle qui régule la mise sur le marché de produits chimiques, le règlement REACH - et notamment dans des contrôles exercés par les autorités douanières et les autorités de surveillance des marchés comme on les appelle. La plupart de nos vêtements proviennent du Maroc, d’Inde, de la Thaïlande, du Vietnam, du Cambodge ou de la Chine où les exigences du règlement REACH ne sont pas nécessairement connues et encore moins respectées. Dès lors, il y a un risque sanitaire aussi pour les travailleurs en bout de chaine qui confectionnent souvent habits et chaussures sans équipements de protection adéquats, et le plus souvent, sans même être informés de la dangerosité des substances qu’ils manipulent.

 

L’action politique

Avec ces études, j’entends contribuer à faire progresser les réflexions et les législations, quitte à en demander de nouvelles qui ne sont actuellement pas envisagées. Je ne suis pas seule dans cette démarche : en début de législature, j’ai constitué un groupe de travail informel d’eurodéputés issus de groupes démocratiques et pro-européens pour porter l’agenda d’un textile durable. Nous sommes entourés d’ONG et d’experts qui nous soutiennent et nourrissent nos discussions. Ensemble, nous comptons peser dans les initiatives que la Commission mettra sur la table.

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