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L’accord UE-Mercosur et le piège de la réponse géopolitique à Donald Trump

11-02-25

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et ses mesures protectionnistes « America First »  provoquant des guerres commerciales en tous sens suscitent de la confusion et plongent le monde dans l’insécurité. Les répercussions du côté européen sont nombreuses. L’une d’elles tient dans le changement d’approche à l’égard des accords de commerce. Mais, à vrai dire, ceci ne devrait pas nous surprendre car à chaque fois que l’UE est confrontée à un choc, les partisans des libéralisations les plus poussées y voient un argument pour ouvrir des négociations et accélérer la conclusion de nouveaux accords. Ce fut déjà le cas en réponse au covid19 et à la guerre en Ukraine pour relancer l’économie européenne et diversifier nos chaînes de valeur. L’argument géopolitique des accords a été progressivement monté en épingle et ceci est particulièrement vrai depuis que les hausses effectives des droits de douane US ont été annoncées à l’égard du Mexique, du Canada et de la Chine.

Ainsi, la majorité conservatrice européenne voit-elle en la pagaille semée par Trump un nième incitant à consolider la constellation  d’accords de libre-échange internationaux, à commencer par la ratification de l’accord UE-Mercosur. C’est, en tout cas, la réponse géopolitique  avancée par l’UE.

Cette réponse géopolitique est en réalité court-termiste, naïve et contre-productive. 

Sur-estimer l’influence de l’économie

Tout d’abord,  les partisans de cette approche commettent l’erreur de penser qu’un lien commercial plus étroit entrainera une solidarité sur la scène internationale de nature à déjouer l’approche transactionnelle de Trump. C’est faire peu de cas de la proximité de Javier Milei avec Donald Trump dont leur haine envers la Charte des Nations unies, envers les contrepouvoirs et le climatoscepticisme sont quelques exemples de leurs multiples points communs détestables. De même que la proximité du Brésil avec la Chine au sein des BRICS qu’ils ont cofondé - avec la Russie ! - pour contester l’occidentalisation de l’ordre économique mondial. Aussi, il semblerait que tout le monde ait oublié les déclarations de Lula au sujet de la guerre en Ukraine, suggérant que les torts étaient partagés et que l’Ukraine devrait céder la Crimée à son agresseur ?

Rappelons-nous aussi que la Chancelière allemande, Angela Merkel, avait fait le pari d’un rapprochement énergétique et économique avec la Russie et que la dépendance envers les hydrocarbures russes nous a entravé lorsqu’il fallut réagir à la guerre en Ukraine. Ceci démontre que jouer la carte des partenariats économiques n’a pas nécessairement d’impact sur les rapprochements politiques.

Risque pour la souveraineté stratégique

Concernant l’accord UE-Mercosur, celui-ci a fait l’objet de beaucoup de critiques au regard des préoccupations pour les droits des populations autochtones, pour les risques de déforestation accrue, pour l’usage massif de produits phytosanitaires interdits en Europe en raison de leur toxicité et pour la concurrence déloyale pour nos agriculteurs dont le secteur est déjà en souffrance.

En réalité,  l’accord UE-Mercosur nous déforce aussi en portant atteinte à notre souveraineté stratégique avec l’intégration d’un « mécanisme de rééquilibrage » demandé par les pays du Mercosur depuis mi-2023. A travers ce mécanisme, les pays du Mercosur pourraient obtenir des compensations s’ils estiment que de nouvelles mesures (termes définis de manière très large) adoptées par l’UE heurtent leurs intérêts économiques, en ce compris leurs exportations. Ainsi, si par exemple, l’UE en venait à élargir les champs d’application des règlements antidéforestation ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), à mieux protéger les consommateurs ou à abaisser les seuils d’applications pour les entreprises (y compris étrangères) couvertes par la directive sur le devoir de vigilance, ces mesures  pourraient être contestées par les pays du Mercosur. Et ce même si elles sont conformes aux autres dispositions de l’accord UE-Mercosur et respectent les règles de l’OMC. La Commission se défend en arguant qu’il leur sera très difficile d’apporter la charge de la preuve, mais le ver est dans le fruit.Le risque que l’UE ne prenne plus d’initiatives (regulatory chill) ou se résigne à en payer le prix au sens premier du terme est réel.  il s’agit donc d’une atteinte sérieuse à notre souveraineté stratégique qui met l'UE en position de vulnérabilité et est d’autant plus grave que des pays qui négocient actuellement avec l’UE comme l’Inde, l’Indonésie et d’autres sont très attentifs à ce dispositif qu’ils voudraient eux aussi voir intégré dans leurs futurs accords avec l’UE. L’UE a ouvert une boîte de Pandore et accepte de se lier les mains à des pays tiers. 

Notre souveraineté stratégique est également atteinte lorsque notre modèle agricole européen est bradé et soumis à une concurrence déloyale. Faut-il alors s’étonner que moins de 10 % des agriculteurs ont moins de 35 ans et que plus de 30 % des agriculteurs ont plus de 65 ans et peinent à transmettre leurs exploitations  aux jeunes générations? Déforcer notre agriculture, c’est mettre en péril notre sécurité alimentaire, premier domino de toute souveraineté stratégique, comme plusieurs dizaines de pays l’ont expérimenté lorsque la guerre en Ukraine les a privés de blé. Nous ne pouvons donc poursuivre dans cette voie à l'heure où les enjeux géopolitiques, climatiques et démocratiques s'entremêlent et exigent de l'Union européenne qu'elle assure son autonomie stratégique.

Forger des alliances

Si l’UE se cherche - et à raison - des alliés sur la scène internationale, elle pourrait commencer par soutenir les  pays en développement. Or, l'UE se les met à dos en conditionnant la réforme du système de préférences généralisées (accès préférentiel au marché européen pour ces pays) à la réadmission des migrants irréguliers qui sont présents sur le territoire européen ou en refusant de leur transmettre brevets et technologies en pleine pandémie de Covid-19.  Elle devrait également se montrer plus volontariste dans le soutien technique et financier à la réalisation des Objectifs pour le Développement Durable qui, même s'ils figuraient dans les lettres de mission adressées par la Présidente de la Commission à tous les futurs membres de son équipe, ne seront pas réalisés en 2030.

Une perspective s'ouvre peut-être avec les nouveaux « Clean trade and investment partnerships » annoncés par la Présidente de la Commission dès sa réélection et figurant dans la boussole pour la compétitivité. Ils semblent tracer la voie vers des arrangements plus complets et attractifs pour nos partenaires, mettant dès lors en exergue l’inadaptation des accords de commerce traditionnels pour répondre aux besoins nouveaux. Il convient de les déployer en garantissant que nos partenaires en bénéficieront réellement. 

Céder au piège tendu par Trump

Enfin, étant donné les divergences de vues persistant entre les Etats membres mais surtout au sein des populations européennes, la signature de l’accord UE-Mercosur risque de nourrir le populisme et d’accroître la défiance envers les « élites déconnectées » et « l’Europe de Bruxelles ». Ainsi, ratifier l’accord UE-Mercosur avec toutes ses imperfections reviendrait finalement à se jeter dans le piège tendu par Trump et ses amis et admirateurs qui exècrent le multilatéralisme, l’Etat de droit et le projet européen.

 

 

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