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Adoption du Pacte européen sur la migration et l’asile: vers la fin du droit d’asile en Europe!

09-04-24

Plus de trois ans après la proposition de la Commission sur un “nouveau Pacte sur la migration et l’asile” (dit Pacte), le Parlement européen a adopté le 11 avril les versions finales des différents textes du Pacte, venant valider l’accord conclu entre les Etats membres et le Parlement européen en décembre 2023. Les écologistes sont très critiques vis-à-vis de cet accord. Nous pensons qu’il  est indigne des valeurs européennes car il bafoue les droits fondamentaux des personnes migrantes, créé des situations de non-droit aux frontières européennes et ne répond pas aux enjeux posés par les questions migratoires. En sus d’être inhumain, il sera aussi inefficace pour faire face à la situation migratoire actuelle. Décryptons-le ensemble. 


Qu’est-ce que le nouveau Pacte sur la migration et l’asile?

Après l’échec des négociations en 2018 suite à l’absence d’accord entre les Etats membres, la Commission a proposé, en 2020, un Nouveau Pacte sur la Migration et l’Asile. Ce Pacte est un ensemble de propositions législatives et recommandations non-législatives. Le but est alors d’établir un système européen plus harmonisé dans le traitement des procédures d’entrée et d’asile, et de retour des personnes migrantes. La Commission visait également à réformer le système de Dublin grâce à des mécanismes dits de “solidarité”. Cependant, l'exécutif européen, sous l’impulsion des Etats membres, finit par proposer une approche sécuritaire et gestionnaire de la migration avec un focus sur l’externalisation de la politique migratoire européenne vers des Etats tiers. 


Vous l’aurez compris: la proposition initiale de la Commission n’était pas une politique basée sur l'accueil, la solidarité et l’humanité comme nous, les Verts/ALE, le souhaiteraient. Les propositions de la Commission n’ont pas repris les propositions de notre groupe pour la réforme du règlement Dublin et un système efficace et juste d’asile en Europe. 


Alors que nous nous sommes battus sans relâche pour obtenir un pacte digne et solidaire, les textes adoptés aujourd’hui sont à nos yeux encore pires que la proposition initiale de la Commission. Un grand nombre de protections des droits fondamentaux des personnes migrantes ont été abandonnées comme le montre la description dossier par dossier ci-dessous.

 

 

Réforme d’Eurodac: une base de données qui confond migration et sécurité

Comme je vous l’expliquais en décembre 2022, Eurodac, la base de données européenne regroupant les empreintes digitales et données biométriques des personnes entrant de manière irrégulière sur le territoire européen et les demandeurs d'asile, existe depuis 2003. Son but? Faciliter la mise en œuvre du fameux règlement de Dublin qui permet de déterminer l’Etat membre responsable de la demande d’asile. Pour rappel, ce règlement consacre le très controversé principe du “pays de première entrée  = pays responsable de l’asile”. C’est donc par le biais d’Eurodac que les États membres peuvent savoir si une personne, via ses empreintes, a déjà été enregistrée dans un autre État. 


La réforme d’Eurodac, pour laquelle j’étais en charge pour le groupe des Verts/ALE, peut être résumée comme suit: un plus grand nombre d’informations collectées, conservées plus longtemps, et un droit d'accès à la base de données élargi, notamment aux forces de l’ordre. 


La réforme du règlement est une catastrophe pour les droits humains. Il comprend notamment:

  • la collecte de données biométriques,  en plus des empreintes digitales s’ajoutent les images faciales,
  • l’abaissement de l'âge de la prise de données biométriques de 14 à 6 ans,
  • la possibilité d'utiliser la coercition comme mesure de dernier recours pour obliger les personnes à donner leurs données biométriques, et ce y compris sur les mineurs et les personnes vulnérables,
  • la possibilité de détenir des enfants en vue de la prise de ces données biométriques,
  • la possibilité de transférer des données à des pays tiers à des fins d’expulsion,
  • l’inclusion dans le système d'un enregistrement indiquant que la personne pourrait constituer une menace pour la sécurité intérieure ("drapeau de sécurité") sans contrôle judiciaire sur l’évaluation de cette menace,
  • l’extension du champ d'application aux personnes en séjour irrégulier déjà sur le territoire d'un État membre. 

En mélangeant sciemment les champs sécuritaire et migratoire, cette réforme est un pas de plus vers la criminalisation de la migration. Elle comporte de nombreuses provisions violant les droits fondamentaux dont ceux d’enfants à partir de 6 ans , des mesures ne respectant pas les règles de protection des données personnelles, ou encore des atteintes à l'intégrité mentale et physique.


Règlement sur le filtrage (screening)

Ce texte prévoit l’introduction d’un filtrage obligatoire préalable à l'entrée dans l’UE, comprenant des contrôles d’identité, de santé et de sécurité, ainsi qu'un relevé d'empreintes digitales et l'enregistrement dans la base de données Eurodac. Son objectif est d'identifier rapidement que tous les ressortissants de pays tiers entrant dans l’UE soumis au contrôle ne constituent pas une menace pour la sécurité intérieure.


Ce règlement pose de nombreux problèmes tels que:

La "fiction juridique de non-entrée", qui traite les personnes sur le territoire de l'UE comme si elles n'y étaient jamais entrées, devient obligatoire. Les ressortissants de pays tiers devront rester à la disposition des autorités entraînant de facto une détention obligatoire. Des normes relatives aux conditions de détention ont toutefois été incluses alors qu’elles étaient absentes de la proposition initiale.
L’accès direct pour les autorités de filtrage aux bases de données à grande échelle de l'UE, accès n’étant pas en conformité avec les principes de nécessité et proportionnalités qui doivent guider le traitement des données personnelles. 
Le champ d'application du mécanisme de contrôle indépendant des droits fondamentaux est restreint. En effet, les allégations de non-respect des droits fondamentaux doivent être justifiées et les contrôles sont limités à la procédure de filtrage. Cela n’a pas été étendu à la surveillance des frontières, ce qui aurait pu contribuer à empêcher les refoulements de personnes migrantes. 
Il n’y a pas de possibilité de recours juridique dans le cadre de cette procédure.

 

Règlement sur les procédures d’asile (APR)

Ce texte a pour but d'harmoniser les procédures d’asile et de retour.  Dans les faits, ce texte remet en question les fondements du droit d’asile, les demandeurs ne pourront plus exercer ce droit dans des conditions dignes.

Mis à part le droit à un conseil juridique gratuit dans la phase administrative et à une assistance juridique gratuite dans la phase d'appel, les éléments négatifs de ce règlement sont légion, tels que:

  • Des procédures longues et complexes avec des délais peu clairs et de nombreuses dérogations.
  • Des garanties procédurales faibles, y compris pour les mineurs.  
  • Des procédures obligatoires aux frontières qui conduiront inévitablement à une détention généralisée aux frontières extérieures, y compris de familles avec enfants et même de mineurs non accompagnés lorsque ces derniers sont considérés comme présentant un risque pour la sécurité.
  • Codification et extension de la fiction juridique de non-entrée
  • Élargissement du champ d'application, permettant aux personnes d'être renvoyées dans un pays tiers avant que leur appel n'ait été entendu, mettant potentiellement leur vie en danger.

 

Règlement sur la gestion de l’asile et de la migration (AMMR)

Ce texte a pour objectif de remplacer le système de Dublin, c’est-à-dire le principe du “pays de pays de première entrée  = pays responsable de l’asile” afin d’éviter  une “pression” sur les pays d’entrée.

Le critère de première entrée, qui était prioritaire, devient résiduel mais ne disparaît pas. D'autres critères seraient prioritairement pris en compte notamment la situation familiale de la personne migrante ou encore l’obtention d’un diplôme au cours des six années précédentes dans un État membre. Cela ne constitue pas une révision fondamentale du système de Dublin. Les Etats situés aux frontières extérieures seront toujours responsables d'un grand nombre de demandes d’asile. Par ailleurs, alors que précédemment l’Etat membre responsable de traiter la demande avait un an pour le faire,  cette durée a été allongée à 20 mois. Cela aura pour effet d’augmenter la “pression” sur les pays d’entrée. 

Ce règlement prévoit également un mécanisme de “solidarité” contraignant. Cependant, la définition de “solidarité” de l’Union européenne n’est pas celle des Verts/ALE. En effet, cette solidarité comprend la surveillance des frontières ou la construction d'infrastructures de gestion des frontières (comme des murs ou barbelés par ex.) au sein de l'UE et les contributions financières à des projets dans les pays tiers. Le mécanisme de relocalisation, afin de répartir justement les demandeur.euses d’asile, n'est pas prioritaire. Il n’y a pas de procédure de solidarité spécifique pour la recherche et les sauvetages en mer, c'est-à-dire pas d'incitation à prévenir les décès en mer. En outre, cette solidarité n'intervient qu'une fois qu'un État membre est déjà soumis à une "pression migratoire".


Règlement sur la gestion des situations de crise

L’objectif de ce règlement est de faire face aux situations de crise en prévoyant des mesures temporaires et extraordinaires. Il définit les situations de crise et de force majeure et les conditions dans lesquelles les Etats peuvent déroger aux règles normales.

Les Verts/ALE déplorent: 

  • Le large éventail de situations pouvant déclencher des dérogations à la procédure d'asile ordinaire, par exemple le concept général de “force majeure” et celui d'instrumentalisation.
  • L'instrumentalisation comprend les actions des "acteurs non étatiques hostiles", ce qui peut inclure les ONG de sauvetage en mer par exemple  si un Etat estime qu'elles ont pour "objectif de déstabiliser l'Union".
  • Les dérogations comprennent notamment la possibilité pour les Etats de retarder de 4 semaines l'enregistrement des demandes d'asile ; la possibilité d'allonger la durée des procédures frontalières et donc la détention;  la possibilité pour les Etats d'étendre le champ d'application des procédures frontalières aux demandeurs ayant un taux d’acceptation allant jusqu'à 100 % (c'est-à-dire incluant les Syriens, les Afghans, etc.).


Règlement établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation

La réinstallation et l'admission humanitaire sont des outils de protection destinés à des groupes spécifiques de personnes ayant besoin d'une protection internationale. La réinstallation ne concerne que les réfugiés particulièrement vulnérables et s'effectue à partir d'un pays tiers où la personne en question ne peut être protégée de manière adéquate. 

Le rôle de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés a été maintenu dans cette réforme du règlement “réinstallation” ainsi que l’octroi du statut de réfugié pour les réfugiés réinstallés. Par ailleurs, les délais pour accorder ou non la réinstallation, bien que toujours longs, ont été raccourcis. Les motifs de refus n’incluent pas des mesures potentiellement discriminatoires telles que “la capacité d’intégration”. 

Malheureusement, ce mécanisme, qui comprend de nombreuses avancées et pour lequel j’ai voté, reste purement volontaire. Les Etats membres n’ont aucune obligation de le mettre en place.  


Directive sur les conditions d’accueil  

Ce texte vise à garantir des normes communes en matière de conditions d'accueil dans l'ensemble de l'UE.

La nouvelle directive apporte plusieurs améliorations par rapport au statu quo telles qu’un élargissement de la notion de “membre de la famille”, un meilleur accès aux informations et aux soins de santé pour les personnes migrantes, ou encore une interdiction de mettre en détention les mineurs. Malheureusement, une telle détention est possible lorsque c’est dans le “meilleur intérêt” de l’enfant (un oxymore, je sais…). 

Nous déplorons, par ailleurs, différents dispositifs introduits par cette directive notamment le fait que:

  • Les demandeurs en attente d'un transfert au titre de Dublin n'aient pas droit aux conditions matérielles d'accueil.
  • les  Etats puissent limiter la liberté de circulation des demandeurs d’asile à des lieux spécifiques pour des raisons “d'ordre public" ou de "risque de fuite" ;
  • Si le demandeur quitte ce lieu spécifique sans autorisation, il risque la détention. 

Vu l’équilibre entre le positif et le négatif, j’ai décidé de m'abstenir sur ce texte.

 

Directive relative aux conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile  

Cette directive définit les critères permettant aux demandeurs d'obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, ainsi que les droits accordés aux personnes ayant obtenu ce statut.

La réforme de cette directive contient des éléments positifs tels que le renforcement des dispositions relatives aux permis de séjour et à l'unité familiale, le renforcement des dispositions relatives aux actes et motifs de persécution, de nouvelles dispositions relatives à l'égalité de traitement. 

Le reste de la directive est une catastrophe pour les droits fondamentaux des demandeurs d’asile via notamment:

  • Le renversement de la charge de la preuve;
  • Une “évaluation de la protection interne” pour déterminer si le demandeur peut bénéficier d'une protection dans son pays d'origine;
  • Ajouts de Nouveaux motifs d'exclusion contraires aux recommandations de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés 

 

 

En conclusion…

Alors que nous demandions un mécanisme de solidarité obligatoire, des critères clairs, une véritable politique d'accueil en Europe et le respect des droits et de la dignité des personnes, nous avons un Pacte de la honte et de l’indignité. 

Les dispositions adoptées violent les valeurs et les principes d’humanité, de solidarité et de respect des droits des personnes qui sont au cœur de nos engagements européens et internationaux. Le Pacte n‘apporte pas de réponse à la crise de l‘accueil, au sort réservé aux personnes migrantes et demandeuses d’asile. Cet accord est la triste légalisation de l’Europe forteresse.

Ce n’est pas notre choix pour l’Europe.

 

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