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Eurodac: un projet de réforme qui confond migration et sécurité

14-12-22

Après plusieurs années de négociation et de blocage, la Commission Liberté et Justice, dont je suis membre, a adopté cette semaine le nouveau mandat du Parlement européen pour les négociations de la réforme Eurodac. Les Verts/ALE ont voté le rejet de ce texte. Malheureusement, la majorité n'était pas avec nous. Laissez-moi vous expliquer pourquoi cette réforme pose de nombreux problèmes en termes de protection des droits fondamentaux. 


Qu’est-ce qu’Eurodac? 

Ce dossier paraît technique mais il n’en est rien. L’enjeu est simple: préserver les droits fondamentaux des personnes migrantes. 

Eurodac, la base de données européenne regroupant les empreintes digitales des demandeurs d'asile, existe depuis 2003. Son but? Faciliter la mise en œuvre du fameux règlement de Dublin. Pour rappel, ce règlement consacre le très controversé principe du “pays d’arrivée - pays responsable de l’asile”. C’est donc par le biais d’Eurodac que les États-membres peuvent savoir si une personne, via ses empreintes, a déjà été enregistrée dans un autre État. 

Or depuis plusieurs années, dans le cadre des propositions du Système européen commun d’asile puis du Pacte Asile et Migration, la Commission souhaite réviser le règlement portant sur Eurodac. Ce processus a été gelé en 2018 suite à l’absence d’accord entre Etats-membres sur les questions migratoires. Aujourd’hui, les négociations reprennent et je m’en inquiète. La réforme proposée vise à étendre le système de recueil de données et à faciliter la répression. 


Toujours plus de données pour moins de protection des droits fondamentaux

La réforme d’Eurodac, telle que proposée par la Commission, peut être résumée comme suit: un plus grand nombre d’informations collectées, conservées plus longtemps, et un droit d'accès à la base de données élargi. Malheureusement, malgré l’opposition des eurodéputé.es vert.es et d’extrême gauche, une position a été adoptée par le Comité Liberté et Justice du Parlement. Ce rapport, adopté sans débat en plénière, va  dans le sens de la proposition de la Commission européenne.

Concrètement, selon la proposition actuelle, le champ d'application serait étendu aux personnes migrantes n’ayant pas demandé l'asile. Davantage de données personnelles, dont des images faciales, seraient recueillies. Des sanctions, pour les personnes qui refusent de se soumettre à la procédure de prise d'empreintes digitales, seraient établies. Et plus grave encore: l'âge à partir duquel il sera possible de collecter des données biométriques serait abaissé de 14 à 6 ans. 

 

Par ailleurs, au sein du Pacte Asile et Migration, le dossier Eurodac est lié au règlement portant sur le filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures (“screening”). Cela signifie que la base de données Eurodac fera l’objet de filtrage. Des “drapeaux de sécurité'' (les fameux security flag) pourraient être introduits sur le profil de certaines personnes migrantes. Dit plus simplement, ce système postule que les personnes migrantes sont des menaces de type sécuritaire. C'est un pas de plus vers la criminalisation de la migration. 

 

Lignes brouillées entre migration et sécurité

Avec cette réforme, les droits fondamentaux des personnes migrantes sont bafoués. En effet, ces propositions démontrent, une nouvelle fois, qu’au sein de l’Union européenne les questions de migration relèvent du sécuritaire. Au nom de la sécurité, la Commission, de nombreux États membres et une majorité au Parlement font fi des valeurs européennes et du droit international. Cette réforme comporte des violations aux droits de l’enfant, des mesures ne respectant pas les règles de protection des données personnelles, des atteintes à l'intégrité mentale et physique, ou encore des procédures inéquitables.


Avec mes collègues du groupe des Verts/ALE, nous allons continuer à nous battre pour empêcher l’adoption d’une telle réforme. Nous refusons que les personnes migrantes et réfugiées soient d’emblée traitées comme une menace. Les questions migratoires doivent être avant tout considérées comme relevant des questions humanitaires. C’est notre devoir, à la fois en vertu du droit international et en vertu de nos valeurs, d’accueillir dignement les personnes arrivant sur le sol européen.  

Pour en savoir plus: 

Proposition de la Commission
Rapport adopté
PICUM recommendations on safeguarding Children’s Rights in the Migration and Asylum Pact Proposals, 2021

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