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Carte blanche : Des accords commerciaux? Oui, mais pas à n’importe quel prix

07-02-23

Les parlements bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles doivent-ils ratifier les accords commerciaux avec le Pérou, l’Equateur et la Colombie, comme tout le reste de l’Union européenne ? Pas pour les élues Ecolo texte initialement publié sur Le Vif)

Si l’actualité internationale s’est focalisée à juste titre ces derniers temps sur la Russie, l’Ukraine et le Qatar, il n’en reste pas moins que d’autres réalités internationales méritent aussi davantage d’attention. 

 L’Union européenne s’est donné pour objectif depuis de nombreuses années de conclure des accords commerciaux et d’investissement avec d’autres pays ou régions du monde. Au-delà de l’impact économique, ces accords sont aussi présentés comme des instruments efficaces de promotion des droits humains et de respect de la biodiversité et de l’environnement. Qu’en est-il réellement dans le cadre de l’accord avec la Communauté andine (Pérou, Equateur, Colombie), que la Région bruxelloise et la Fédération Wallonie-Bruxelles doivent encore ratifier? 

Le Pérou, la Colombie et l’Equateur constituent une entité régionale avec laquelle l’Union européenne a conclu un accord de commerce en 2014. Comme le veut la procédure, ces traités une fois conclus s’appliquent de manière provisoire, en attendant la ratification par les Parlements concernés, dans ce cas-ci y compris ceux des entités fédérées. Aujourd’hui, les Parlements de la Région bruxelloise et de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont les seules entités dans toute l’Union européenne à ne pas avoir ratifié l’accord avec la communauté andine.

Si le respect de l’état de droit et des droits humains est inscrit clairement à l’article premier de cet accord comme un des “éléments essentiels de cet accord”, nous, écologistes, déplorons depuis de nombreuses années que rien ne soit fait pour l’appliquer, malgré le travail des sociétés civiles locales. Au Pérou, où le président a été destitué début décembre et où la situation politique reste peu claire, le dernier rapport annuel du Service Européen d’Action Extérieure atteste que ces droits sont malmenés. Dans son édition d’avril 2022, le Pérou est pointé du doigt pour la « situation des défenseurs des droits humains, en particulier les populations autochtones d’Amazonie », victimes de crimes restés « largement impunis ». Dans ce contexte, de nombreuses organisations civiles péruviennes ont réalisé un immense travail de collecte de données pour aboutir au dépôt en 2021 d’une plainte collective auprès de la Commission Européenne. Elle a été actualisée en 2022, renforçant encore ce même constat. Cette plainte est aujourd’hui toujours sans réponse. Le 28 octobre dernier, les organisations syndicales et civiles péruviennes ont encore dénoncé le non-respect des dispositions du traité par les gouvernements successifs, et l’absence de mécanismes de suivi de l’accord, pourtant prévu au titre IX de l’accord.

Les violences restent omniprésentes en Colombie, comme l’UE le relève elle-même dans son dernier rapport. Elle précise que lors des manifestations qui ont émaillé l’année, « l’infiltration de certaines parties des manifestations par des individus et groupes violents et l’usage excessif de la force par les forces de police ont créé de graves problèmes sur le plan des droits humains ». Le rapport dénonce en outre l’assassinat de 145 militants des droits humains, leaders syndicaux et autres activistes environnementaux, ceux-là même qui se battent pour mettre en oeuvre ce que l’on appelle de ce côté-ci de l’Atlantique le “Green Deal”. 

Enfin, l’Equateur bien que pouvant se targuer de posséder l’une des Constitutions les plus progressistes de la région incluant notamment la reconnaissance des écosystèmes, de l’égalité de genre, des droits des communautés autochtones, … est également en proie à de nombreux problèmes comme les violences à l’égard des femmes, la perpétuation de conditions de vie carcérales pénibles et une forte corruption.

Dans ce contexte problématique, il appert de l’aveu même des institutions européennes que les conditions de l’article premier de l’accord de libre-échange : respect de l’état de droit et des droits humains, ne sont pas réunies. 

Face au statu quo, voire à la détérioration des conditions observées dans certains pays, l’UE doit aller au-delà des protestations polies et se hisser à la hauteur des enjeux qu’elle prétend défendre. Or Ecolo s’est battu pour intégrer dans l’accord de majorité des gouvernements bruxellois, wallon et fédéral, la nécessaire et essentielle “inclusion des clauses de respect des droits de l’homme et des normes fondamentales de l’OIT (dont les droits syndicaux du travail) dans les accords commerciaux et d’investissement”. La position des écologistes au Parlement européen est identique, la présence et la mise en œuvre de telles clauses relatives aux droits humains étant des conditions sine qua non à la ratification d’accords de libre-échange

Face au statu quo, voire à la détérioration des conditions observées dans certains pays, l’UE doit aller au-delà des protestations polies et se hisser à la hauteur des enjeux qu’elle prétend défendre. Des mesures graduelles, précises et incitatives s’appliquant à tout partenaire commercial où des violations graves et systématiques de droits humains seraient constatées doivent être mises en place pour revenir aux fondamentaux : améliorer le quotidien des peuples concernés. Nous ne voulons pas d’un système à deux vitesses où, au nom du commerce et de l’économie, certains partenaires pourraient faire l’impasse sur les valeurs de l’État de droit et le respect des droits humains. Pour Ecolo, le choix est fait : pas de ratification des accords commerciaux sans respect des droits humains et de l’environnement.


Marie Lecocq, députée bruxelloise


Hélène Ryckmans, députée wallonne et de la Fédération Wallonie Bruxelles 


Saskia Bricmont, députée européenne


 

 

 

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