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À quel point les textiles que nous portons sont-ils dangereux?

30-01-23

J'ai présenté au Parlement européen une étude sur le textile réalisée par Audrey Millet, chercheuse, conférencière, autrice du «Livre noir de la mode» (2021) et qui a débuté sa carrière dans le milieu de la mode.

Vous connaissez mon combat contre la fast fashion dont les affres sont désormais bien connues de tou.te.s. Le sujet de l’étude est quelque peu différent et concerne, en réalité, potentiellement tous les segments du secteur, pas seulement la fast fashion : c’est la toxicité des habits et chaussures que nous portons qui est au centre de l’analyse. Saviez-vous que 8.000 substances chimiques de synthèse sont utilisées dans les processus de fabrication ?

Aujourd’hui, il est largement documenté - mais encore trop peu connu dans l’opinion publique - que les substances chimiques contenues dans nos habits sont responsables de maladies allant de réactions cutanées à des cancers. Des analyses ont même révélé que les bébés dans le ventre de leur mère ne sont pas épargnés, car les substances chimiques sont telles qu’elles traversent l’épiderme et s’enfoncent dans les organes, traversant même le placenta. Dès lors, avant même leur naissance, les bébés peuvent être contaminés. D’où l’importance de laver une ou deux fois les vêtements avant de les porter.

Il existe bien une législation européenne appelée REACH pour réglementer l’usage des produits chimiques et interdire les plus nocifs, la liste de ces produits étant étendue au fur et à mesure de découvertes scientifiques. Mais ce règlement n’est pas infaillible : en théorie, il s’impose aussi bien aux entreprises européennes qu’à celles basées dans les autres pays qui voudraient accéder au marché intérieur. Mais, dans la pratique, ce n’est pas si évident, car les douanes ou les autorités de surveillance des marchés ont d’autres priorités (comme la lutte contre le trafic de drogue dont on parle à nouveau beaucoup ces jours-ci). Or, les Européen.ne.s importent l’essentiel des produits textiles de pays situés à des milliers de kilomètres comme le Maroc, l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam, le Cambodge ou la Chine où les exigences du règlement REACH ne sont pas nécessairement connues et encore moins respectées. Dès lors, il y a un risque sanitaire aussi pour les travailleurs en bout de chaine qui confectionnent souvent habits et chaussures sans équipements de protection adéquats, et le plus souvent, sans même être informés de la dangerosité des substances qu’ils manipulent.

À travers cette étude, je plaide pour la mise en place de mesures liées à mon domaine de compétence, le commerce international, afin de s’attaquer à ce problème à la racine, c’est-à-dire dès les premières étapes dans les pays de production.  Certains argueront qu’il s’agit d’une forme de protectionnisme ou d’un impérialisme réglementaire de l’UE. Mais, en réalité, ces mesures visent à protéger aussi les consommateurs en Europe que les travailleurs, surtout des femmes, dans les pays producteurs, ce qui est d’autant plus important que dans nombre d’entre eux, les systèmes de protection sociale et sanitaire sont souvent déficients.  

Les mesures que je préconise sont de différents ordres. Il y a des mesures que l’UE peut mettre en oeuvre seule comme un renforcement de REACH (qui a été reporté, sans explication convaincante, à la fin de l’année par la Commission) ; une meilleure information des consommateurs (par le biais d’un étiquetage plus adéquat, à la manière de ce qui est fait avec le nutriscore pour les produits alimentaires) ; la mise en place d’une clause miroir (à savoir que les entreprises qui veulent vendre en Europe devront montrer qu’elles respectent nos normes sanitaires) ; l’entrée en vigueur de la directive sur le devoir de vigilance (due diligence) qui comprendrait des dispositions spécifiques au secteur du textile, et notamment des obligations en matière de politiques d’achats responsables et d’implications des travailleurs et de la société civile ; l’insertion de dispositions spécifiques au commerce du textile dans les accords de commerce (un certain nombre de nos fournisseurs sont couverts par le système dit des « préférences généralisées » ; d’autres comme le Vietnam, le Maroc, l’Inde ou l’Indonésie, sont liés à l’UE par des accords existants ou en cours de négociation). D’autres mesures peuvent nécessiter des collaborations avec des partenaires comme avec les États-Unis, autre grand donneur d’ordre et qui héberge des entreprises multinationales à la tête de chaines de valeurs mondiales qui peuvent influencer positivement leurs sous-traitants. L’UE pourrait aussi pousser les autres puissances commerciales à s’allier autour d’engagements pour assainir le secteur du textile, en s’inspirant de l’Alliance des Nations Unies pour une Mode Durable. Enfin, il y a le soutien que l’UE peut apporter à diverses initiatives internationales comme l’Accord du Bangladesh né des décombres du Rana Plaza, renouvelé en 2021 et répliqué au Pakistan en 2023, ou via ses programmes d’assistances technique et financière.  

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