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Sortie du Traité sur la Charte de l’Énergie: victoire, après cinq ans de combat !

24-04-24

Le combat contre le Traité sur la Charte de l'Énergie (ECT) a été l'un des fils rouges de mon mandat. Le Parlement européen vient de confirmer en session plénière la sortie des institutions européennes de ce traité climaticide.

 

En cette dernière session parlementaire de la législature, je me réjouis que le Parlement européen vote la sortie du Traité sur la Charte de l'Énergie pour l’UE, Euratom ainsi que les États qui le souhaitent. Face au refus d’une minorité d’États membres de quitter le traité, l’option mise sur la table est la seule qui permette d’avancer. Les États qui le souhaitent pourront rester membres. Ils devront néanmoins se coordonner avec les autres États et l’UE pour éviter que ces derniers soient affectés par les décisions qui seraient prises au sein de l’Assemblée Générale de l’ECT et par les tribunaux arbitraux fondés sur l’ECT.

Ma première publication sur le sujet - et si je ne m’abuse, l’une des toutes premières tout court -  remonte à septembre 2019. On était à la veille du processus de modernisation entamé par la cinquantaine de ses membres. Mon message était déjà sans appel à l'époque : "le Traité de la Charte Énergétique ne doit pas être ‘modernisé’, car ce projet est une chimère. Il doit être abandonné." D'autres, beaucoup plus optimistes, estimaient qu'il était possible de modifier tellement profondément le Traité qu'on pourrait l'utiliser pour protéger les investissements dans les énergies renouvelables au détriment des fossiles. Cette option ne m'a jamais semblé réaliste en raison des rapports de force et parce que parmi les membres de l'ECT, on dénombre des pays d'Asie centrale qui tirent l'essentiel de leurs recettes de l'extraction fossile, ou des pays comme le Japon qui ont toujours été réticents à assouplir le Traité.

Depuis, je me suis battue avec les ONG, les représentants Ecolo et Groen dans nos cabinets ministériels, aux niveaux belge et européen. Avec d’autres collègues progressistes, j’ai signé un certain nombre de tribunes et déclarations (comme ici, ) ou je suis montée à la tribune du Parlement (comme ici)  à des moments décisionnels clés.

 

2022, année décisive

Les années 2020 et 2021 auront été celles de la montée en puissance de ce dossier, avec de multiples échanges et réunions qui ont permis de faire avancer les réflexions, et même les faire converger du côté des eurodéputés, tant que les parties prenantes à l’ECT négociaient de leur côté. C’est durant l’année 2022 que tout cela s’est traduit par des prises de position publiques particulièrement importantes puisque, in fine, en vertu des Traités européens, le Parlement européen avait son mot à dire. Cela n’arrangeait par contre ni le Conseil ni la Commission. Celle-ci, de son côté a préparé les esprits des eurodéputés en les rassurant que les négociations évoluaient dans le bon sens. Puis, lorsqu’elle réalisa qu’ils ne se laisseraient pas berner, elle fit comme si le rôle du Parlement sur ce dossier était anecdotique.

Alors que la Commission d’éviter une sortie de l’ECT, plusieurs travaux continuaient d’avancer, pour toujours arriver aux mêmes conclusions. Dans son rapport d'avril 2022, le GIEC a critiqué l’ECT et le système de règlement des différends qu’il met en œuvre. Quelques mois plus tard, le Parlement européen adoptait le rapport de ma collègue des Verts allemands, Anna Cavazzini. Ce rapport dédié plus largement à la politique d’investissement internationale de l’UE contenait quelques paragraphes sur l’ECT. Il ne pouvait pas plaider pour une sortie pure et simple de l’ECT, mais les conditions mises en avant par le Parlement reviendraient à cela au final : exclusion de la protection des fossiles ; abandon de la procédure arbitrale des investisseurs privés contre les États ; ECT mis au service de l’Accord de Paris ; réduction de la période de protection des investissements prévue lorsqu’un pays quitte l’ECT (sunset clause) ; appel aux États membres pour qu’ils concluent un accord entre eux pour s’immuniser des effets de cette sunset clause.

Des fuites rendront public le fruit des pourparlers interministériels sur la modernisation de l’ECT. En octobre, avec quelques eurodéputés verts, nous avons tenté d’utiliser ce précédent rapport pour porter une nouvelle attaque contre l’ECT en déposant une proposition de résolution. À ce moment, huit pays européen représentant 70 % de la population européenne ont décidé que, à l’issue du processus de négociations, l’ECT modernisée pêchait toujours par manque d’ambitions et en annonçaient leur retrait. Notre texte demandait à « la Commission de proposer le retrait de l’Union du TCE, invit[ait] le Conseil à soutenir cette proposition [et] les autres parties à envisager de se retirer du TCE ». Autrement dit, il fallait faire de l’ECT une coquille vide.

Le texte qui sera finalement adopté en novembre s’en inspirera en annonçant que l’ECT modernisé « n’est pas en phase avec l’accord de Paris, la loi européenne sur le climat et les objectifs du pacte vert pour l’Europe, et ne répond pas aux objectifs définis par le Parlement dans sa résolution du 23 juin 2022 sur l’avenir de la politique de l’Union européenne en matière d’investissements internationaux, et plus particulièrement l’interdiction immédiate pour les investisseurs dans les combustibles fossiles de poursuivre les parties contractantes pour la mise en œuvre de politiques d’élimination progressive des combustibles fossiles conformes à leurs engagements internationaux, le raccourcissement significatif du calendrier de levée progressive de la protection des investissements existants dans les combustibles fossiles, et l’abolition du mécanisme de RDIE » (règlement des différends entre investisseurs et États (ou ISDS en anglais pour Investor-State Dispute Settlement). Le Parlement y rappellera que « l’Union et ses États membres ne devraient pas signer ou ratifier des traités de protection des investissements incluant le mécanisme de RDIE. »

 

Le dénouement

La balle était désormais dans le camp du Conseil qui devait arrêter sa position. De celle-ci dépendait le maintien de l’UE et des États européens dans l’ECT, mais aussi l’issue même de la modernisation. Les autres pays membres étaient alors pendus à cette décision afin de savoir si la modernisation aurait lieu ou si l’on s’en tenait au statu quo. La présidence suédoise fit une proposition de compromis au premier semestre 2023, mais il ne fut pas possible de conclure quoi que ce soit à l’époque. L’Espagne, qui prit le relais à compter de juillet, a alors mis le dossier au frigo, ce qui ne permit pas d’avancer avec la proposition déposée par la Commission européenne.

C’est finalement sous présidence belge avec la Ministre fédérale Groen de l’Énergie, Tinne Van der Straeten, que le Conseil a franchi le pas en adoptant sa Décision en mars. Celle-ci a ouvert la voie au vote du Parlement du 24 avril 2024 (après un passage, une pure formalité, par les deux commissions parlementaires concernées, où je me suis exprimée au nom de la Rapportrice du Commerce international).

A ce jour, 11 États membres ont annoncé leur retrait, et d’autres devraient probablement suivre. Quant à la Belgique, les partis flamands membres des gouvernements régionaux et fédéraux ainsi que le MR s’opposent aux autres, dont Ecolo et Groen, en faveur de la sortie. L’absence de consensus entre Belges nous impose de nous en tenir au statu quo.

Ce vote marque le succès d’une alliance entre les eurodéputés - en premier lieu desquels les Verts en raison de notre mobilisation sans faille et du rôle déterminant dans l’élaboration du positionnement du Parlement -, la société civile et un certain nombre de gouvernements (en particulier ceux qui s’étaient vus réclamer des centaines de millions d’euros au titre de soi-disant dédommagements des investisseurs étrangers pour leurs politiques de transition). Nous ne devons pas bouder notre plaisir devant cette victoire. Il ne faut toutefois pas perdre de vue qu’un accord entre les pays qui ont quitté l’ECT pour neutraliser les effets du « vieil ECT » (sunset clause) doit encore être noué, que de manière générale, les accords (de facilitation) d’investissement (comme celui récemment conclu avec l’Angola) doivent exclure les combustibles fossiles et qu’enfin, l’UE doit impliquer les autres grandes puissances économiques dans ce mouvement.

 

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