Le 21 septembre 2022 marquait les 5 ans de l’accord de commerce et d’investissement entre l’UE et le Canada, le CETA. Au moment de cette date symbolique, 11 pays n’avaient pas encore ratifié le texte empêchant certaines parties de pouvoir entrer pleinement en vigueur. Afin de lever les obstacles à la ratification de son côté, l’Allemagne a demandé que soit ajoutée une déclaration interprétative qui définit le droit de réglementer dans le chef des autorités publiques et dans la perspective des dispositions en matière de protection des investissements.
Pour rappel, la protection des investissements était l’une des principales critiques adressées au CETA que les gouvernements seraient limités dans leur capacité à prendre des lois et autres actes administratifs, notamment parce que les investisseurs privés étrangers pourraient, au nom de leurs propres intérêts commerciaux et financiers, contester ces nouvelles règles devant des tribunaux arbitraux.
La déclaration proposée par l’Allemagne à la Commission européenne et aux autres Etats membres entend garantir la primauté de l’intérêt général, en particulier des mesures visant à assurer la transition écologique et le respect de l’Accord de Paris. Mais qu’en est-il réellement ?
C’est pour répondre à la question des implications concrètes des dispositions contenues dans la déclaration (qui requiert aussi un soutien de la part du Canada) que j’ai demandé à un expert, professeur à l’Université de Philadelphie et qui connait le fonctionnement des tribunaux privés de l’intérieur puisque lui-même est intervenu dans le passé comme arbitre, de produire un rapport sur le sujet.
Il conclut que la déclaration en voulant clarifier les choses crée de nouvelles zones de flou et que, en définitive, tout dépend de la conception que les arbitres devant régler un différend précis se font du lien entre la transition et la protection des investissements :
- pensent-ils que la transition relève d’une priorité telle qu’elle doit prendre le dessus sur la protection des investisseurs ? ou
- considèrent-ils que c’est parce qu’il existe un cadre de protection des investissements qui permet justement d’investir massivement dans les énergies renouvelables, dans l’efficacité énergétique, etc. que l’on parviendra à mettre en place la transition ?
Enfin, plus fondamentalement, le Professeur J. Benton Heath, considère que la déclaration ne peut régler le conflit entre les légitimités qui s’affrontent à l’occasion de contestations de projets d’investissement. C’est ainsi le cas lorsqu’un investisseur reçoit des signes encourageants de la part d’un gouvernement et de son administration mais que son projet rencontre de plus en plus de critiques de la société civile fondées sur des arguments scientifiques, sur des analyses d’impact, etc. si bien que, in fine, le gouvernement retire son soutien et que le projet tombe à l’eau.
Bien qu’il s’agisse d’un sujet technique, je vous invite à parcourir l’étude qui est rédigée dans un style abordable pour les non-experts, d’autant que le Professeur Heath illustre ses arguments au moyen d’un exemple concret et évolutif.
En conclusion, son étude révèle que la déclaration ne doit pas être considérée comme étant une solution permettant de lever les obstacles à la ratification dans les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait. Par ailleurs, on peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit à travailler sur une clarification de la portée du chapitre sur la protection des investissements alors que l’UE a produit des propositions en juin 2022 visant à améliorer l’efficacité des chapitres « développement durable » des accords de libre-échange. Dans le cadre du CETA, ce volet est malheureusement délaissé en dépit de la volonté du Canada d’aller de l’avant avec nous...