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Mission en Grèce et à Chypre sur les cas d'espionage à des fins politiques

08-11-22

Je reviens de quatre jours de mission à Chypre et en Grèce avec des membres de la Commission d'enquête PEGA du Parlement européen. PEGA, du nom de ce logiciel espion que la plupart des États membres européens possèdent et dont certains ont abusé pour espionner illégalement des journalistes, avocats, personnalités politiques, citoyens... à des fins politiques.

À ce jour, des scandales d'espionnage illégal nous mènent en Hongrie, en Pologne, mais aussi en Espagne et en Grèce, où le logiciel utilisé est connu sous le nom de Predator. Des États tiers en ont également abusé pour espionner des ressortissants européens. Ces affaires ont été révélées grâce au travail de journalistes d'investigation (Forbidden Stories, Documento...). Des enquêtes judiciaires souvent sommaires ou dont l'indépendance est en doute ont eu lieu ou sont en cours.

Le rôle de la commission d'enquête mise en place par le Parlement européen est d'établir avec plus de clarté les faits, en entendant toutes les parties, via l'organisation d'auditions et des missions dans les pays concernés. L'objectif est d'établir des recommandations législatives pour éviter que de tels scénarios puissent se produire à l'avenir, de compléter la législation européenne, de renforcer le règlement sur la vente et l'utilisation de biens à double-usage, de renforcer les instances de contrôle démocratique, les droits des victimes... Recommandations à l'adresse de la Commission européenne qui reste incroyablement silencieuse face à ces faits graves.

Lire aussi : Les points-clé du scandale Pegasus

Il ressort de nos travaux qu'aucune enquête approfondie, indépendante et neutre n'a été menée en Grèce quant à l'utilisation du logiciel Predator; que l'enquête de l'autorité de transparence nationale sur les liens entre les entreprises vendant ce type de logiciels et l'État grec n'a pas analysé les comptes et transactions financières des compagnies concernées (société Intellexa et la nébuleuse d'entreprises qui l'entoure), que les journalistes à l'origine des enquêtes et des révélations sont quant à eux victimes de surveillance, de pressions, de SLAPP (poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ou « poursuites-bâillons »); que l'enquête, désormais clôturée, de la commission d'enquête parlementaire grecque dont le mandat était d'établir pourquoi le Député européen Androulakis a été espionné (pourquoi uniquement lui et pas les autres personnes, dont les journalistes, espionnés) n'a pas apporté de réponse; et que nous n'avons eu accès à aucun document officiel, en ce compris le rapport de la commission d'enquête parlementaire (!), à aucune nouvelle information : au nom de la confidentialité, sous le sceau de la sécurité nationale.

Questions sans réponses

24h après notre départ de Grèce, où les rencontres avec les représentants officiels grecs n'ont donc apporté aucune nouvelle réponse, ni de démenti par rapport aux accusations d'espionnage, une liste de 33 personnes, responsables politiques et journalistes, a été révélée par Documento News.

Le Premier Ministre grec, Mitsotakis – en déplacement à l'étranger durant notre présence en Grèce – est accusé d'avoir mis sous écoute via les services secrets des membres de son propre Gouvernement, dont le Ministre des affaires étrangères. Devrions-nous donc croire sur parole un Gouvernement qui contrôle la majorité parlementaire et n'a mené aucune enquête sérieuse sauf pour poursuivre les journalistes ?

J'ai qualifié de "paranoïaque" l'attitude du Premier Ministre, ce qui me vaut pas mal de réactions hostiles sur les réseaux sociaux (voir dans la presse grecque), quel autre terme pourrait qualifier le comportement de quelqu'un qui met les Services secrets (EYP) sous sa responsabilité directe et fait espionner une longue liste de journalistes et de représentants politiques, dont des membres de son propre gouvernement ? De telles révélations devraient constituer un séisme dans un État démocratique. Et si elles sont fausses, tel que l'a affirmé le Gouvernement jusqu'ici, pourquoi ne lance-t-il pas une enquête indépendante? Pourquoi Europol n'est-elle pas invitée à y collaborer afin de consolider les preuves?

Des investigations indépendantes

Nous attendons que la Grèce mène une enquête véritablement indépendante sur les accusations d'espionnage, sur les détenteurs et les utilisateurs de Predator, sur la galaxie d'entreprises dont l'origine commune se situe à Chypre – d'où le début de notre mission dans ce pays.

Nous attendons de la Commission européenne qu'elle fasse preuve de proactivité face à ce qui se révèle être bien plus qu'une affaire de "sécurité nationale". Il s'agit d'une atteinte à l'État de droit, à la Démocratie dans un pays censé en être le berceau et à la liberté de la presse.

La Rapportrice Sophie In't Veld a publié le 8 novembre le rapport préliminaire de notre Commission d'enquête, qui ne portera pas que sur la Grèce mais sur les travaux menés jusqu'ici et des recommandations législatives. Nous continuerons ensuite à y travailler, tous groupes politiques confondus, et en y ajoutant les développements récents et à venir, en ce compris en Hongrie et en Espagne où nous ne nous sommes pas encore rendus.

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