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Commerce équitable, un oxymore ?

03-10-22

Rendre notre politique commerciale durable est essentiel pour la concrétisation des Objectifs de développement durable fixés par l’Onu d’ici 2030. Il reste du pain sur la planche. Nous en avons discuté avec un panel d'experts que j'ai réunis pour un webinaire.

Tout le monde est favorable à un commerce qui soit durable. C’est très bien, sauf que les interprétations que l’on donne à ce terme de « durable » varient grandement. Pour certains, durable signifie « qui dure dans le temps », « pérenne ». Pour d’autres, il faut l’entendre comme synonyme de « fair trade ». C’est cette vision qui est la mienne, celle d’un commerce qui doit permettre à chacun.e de vivre dignement de sa production. Et j’essaie de la promouvoir autant que je peux dans mon action au Parlement européen.

Pas plus tard qu’à la mi-septembre, les Ministres du Commerce des pays du G7 publiaient un communiqué dans lequel ils affirmaient que « le commerce et la politique commerciale peuvent être des facteurs de durabilité environnementale et sociale. Nous pensons que les chaines d’approvisionnement devraient promouvoir nos objectifs climatiques et l’utilisation durable des ressources. » Cet engagement va dans le bon sens, mais il ne doit pas rester un vœu pieux ou une affirmation purement déclarative. Il est donc nécessaire d'analyser finement dans quelle mesure nos pratiques commerciales sont durables ou non.

Une étude pour poser le cadre et ouvrir le débat

Récemment, j’ai commandé une étude à un expert dans l’analyse de données, Coriolis Technologies. Ma question était la suivante : dans quelle mesure le commerce de l’UE avec d’autres pays et régions du monde contribue-t-il à la réalisation des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD, ou SDG dans son abréviation anglaise) adoptés par l’Onu en 2015 ? Mon but était de questionner la politique commerciale européenne en termes de durabilité. 

La réponse est tombée comme un couperet (et pour être honnête sans trop de surprise) : nos relations commerciales extérieures ne favorisent pas l’émergence d’un monde plus juste. Suivant une méthodologie complexe, l’autrice de l’étude conclut que 83 % de notre commerce agit comme un obstacle aux ODD en raison de la nature des marchandises. On peut discuter de ce chiffre, des hypothèses et méthodes de travail. Mais au-delà de cela, la question de la durabilité de nos échanges est clairement posée.

Une mise en discussion avec des experts d’institutions internationales

J’ai donc organisé un événement mettant en présence des experts de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), des Nations unies, de la Commission européenne et de centre de recherche conjoint (JRC) de l’UE. Le but était de discuter de l’étude, de ses résultats et de comment mieux intégrer les ODD dans les négociations des accords commerciaux.

Le représentant de l’OMC a rendu compte des nombreuses initiatives en cours visant à mieux concilier commerce et durabilité. Il a illustré son propos en mentionnant le récent accord international qui vise à mettre fin à une pêche qui surexploite les océans. L’expert de la Commission européenne a indiqué que les ODD prenaient une ampleur croissante dans les réflexions de l’exécutif européen. Il reproche à l’étude de Coriolis un parti d’emblée « anti-commerce », « anti-mondialisation ». Il ne voit pas de problèmes à ce que de la viande soit importée de l’autre bout du monde. Son argument : les cargos transportant ces tonnes de viande sont moins polluants que les camions acheminant de la viande de la France vers l’Espagne. Une bataille d’arguments s’en est suivie entre les participants. L’experte du JRC a donné un aperçu de la manière dont on pouvait mieux évaluer les effets du commerce sur les différents ODD. La difficulté est que certains de ces objectifs peuvent être contradictoires entre eux ; c’est la quadrature du cercle. Son intervention a permis d’illustrer comment il serait possible d’intégrer les ODD durant les négociations des accords et lors de leurs mises en œuvre. Il est, en effet, primordial d ‘évaluer la contribution du commerce à l'éradication de la faim dans le monde, à la transition vers des modes de consommation plus responsables, pour ne citer qu’eux.

 

Mes conclusions

En définitive, ces discussions m’ont rappelé le mythe de la caverne de Platon : personne n’est détenteur seul.e de la vérité. Celle-ci est particulièrement complexe à appréhender, tant il y a de paramètres à prendre en compte.

L’événement m’a permis de tirer la conclusion que oui, les techniques actuelles peuvent être améliorées. Il est possible que le commerce bénéficie à tou.te.s, pas seulement en Europe mais aussi dans les pays partenaires. Concrètement, je suis convaincue qu’il faut travailler sur le concept de « process and production method ». Cette méthode permet, sous certaines conditions, de favoriser les biens les plus durables tout en respectant les règles de l’OMC. Il faut également saisir l’opportunité de la directive en cours d’élaboration au Parlement et au Conseil sur les responsabilités sociétales des entreprises (due diligence). Il est temps que les entreprises aient le devoir de mettre en place un business model éthique. En d’autres mots, un modèle plus respectueux de l’environnement, des travailleurs et des populations au sein desquelles elles opèrent ou sur lesquelles elles exercent une quelconque influence souhaitée ou non.

 

 

 

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