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Lutte contre le travail des enfants: l’Europe y travaille

31-05-22

La cinquième Conférence mondiale sur l'élimination du travail des enfants s'est tenue dans un contexte de retour à la hausse de ce fléau.

Ce 15 mai, la cinquième conférence mondiale dédiée à la lutte contre le travail des enfants s’est ouverte à Durban, en Afrique du Sud. Elle fait suite à l’année internationale de lutte contre le travail des enfants en 2021 et à l’actualisation des statistiques par les Nations unies qui révélait des chiffres désastreux l’été dernier.  Pour la première fois depuis longtemps, une hausse du nombre d’enfants au travail était pointée : 160 millions entre 2016 et 2020; les institutions internationales redoutant une hausse d’encore 9 (voire 46!) millions, en conséquence de la pandémie. Les conséquences du lockdown : fermeture des écoles et paupérisation accrue de familles déjà dans une situation critique, y sont loin d’être étrangères.

Le temps d’une approche européenne plus cohérente

Du côté européen, les pièces du puzzle se mettent en place petit à petit pour façonner une approche plus cohérente. Et il est plus que temps dans la mesure où les européen.ne.s importent chaque année et sans le savoir des marchandises impliquant du travail infantile pour un montant d’environ 50 milliards d’euros selon une étude que j’avais commandée l’an dernier.

- Le système de préférences généralisées
Le Parlement européen a adopté sa position sur la révision du Système de Préférences Généralisées (“GSP”) début mai. Il s’agit d’un mécanisme qui facilite pour les pays pauvres - représentant pas moins de 2 milliards d’habitants - l’accès aux marchés européens en appliquant des taux zéros sur les exportations de leurs marchandises vers l’UE. L’octroi des préférences est conditionné au respect de plusieurs critères. Parmi ceux-ci, la Commission proposait de le retirer en cas de travail forcé ou de travail des enfants. Le problème est que ce sujet mérite une approche plus nuancée : on ne peut décréter l’éradication du travail des enfants si l’on ne règle pas le problème plus général de la pauvreté qui frappe les parents et l’absence d’écoles gratuites par exemple. Je suis heureuse que la commission du commerce international ai accepté ma proposition : avant de décider du retrait des préférences, la Commission doit tenir compte de la situation générale du pays et voir si celui-ci a adopté une stratégie conçue avec l’OIT et soutenue par la Commission (y compris financièrement) pour juguler progressivement et de manière réaliste le travail des enfants (à l’instar de la feuille de route mise en place par le Vietnam et d’autres pays). Les progrès seront régulièrement évalués. Selon les Nations unies, la mise en place de programmes sociaux adéquats permettrait déjà de réduire de 15 millions le nombre d’enfants au travail.

- Un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Afrique
J’ai travaillé récemment sur un rapport du Parlement sur les relations commerciales entre l’UE et l’Afrique. Ce rapport, adopté ce 16 mai par la commission du commerce international, est important car il servira de référence pour évaluer les futurs projets intercontinentaux et les accords de partenariat économiques (APE) qui se mettent en place ou font actuellement l’objet d’une modernisation.

Ainsi, les accords de libre-échange devront mettre l’accent sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants, étant donné leur forte prégnance dans le secteur agricole qui concentre 60 % de la population africaine. Ce message est important car l’Afrique sub-saharienne est la seule région du monde où le travail des enfants est toujours en augmentation (+16,6 millions entre 2016 et 2020); d’ailleurs, le choix de Durban comme lieu d’accueil de la 5e conférence mondiale n’est pas sans rapport avec cette forte hausse.

A cet égard, l’initiative du Ghana et de la Côte d’Ivoire, leaders mondiaux du cacao qui ont mis en place un système garantissant un revenu décent, doit être encouragée et peut servir d’exemple dans d’autres contextes.

Parmi les recommandations du rapport figure l’amélioration de la situation dans le secteur agricole où se trouvent 70 % des enfants au travail, essentiellement dans le cadre d’activités familiales. Un soutien à ces familles leur permettrait de ne plus y recourir. Soulignons la dimension genrée de ce phénomène étant donné les fortes discriminations dont les femmes - les mères - sont victimes quant à l’accès aux terres, aux financements, aux semences, etc. Une forme d’inégalité qui coûte à l’Afrique 6 % du son PIB annuel. S’y attaquer permettrait d’augmenter de 19 % la production agricole. Des études ont aussi mis en évidence qu’augmenter les revenus des femmes de 10 % réduirait d’autant les risques que les filles (et sans doute aussi les garçons) soient envoyées dans les champs, mines ou usines, voire pire. Ces problèmes sont donc intrinsèquement liés.

Il existe une convention de l’OIT qui porte sur l’inspection du travail dans le secteur agricole (C129) mais elle rencontre un moindre succès que la convention sur l’âge minimum (174 pays l’ont ratifiée) et la convention sur le travail forcé, la seule à avoir été ratifiée universellement. Depuis son entrée en vigueur en 1972, seuls 55 pays l’ont ratifiée, dont moins d’une dizaine de pays africains.


- La Directive sur le devoir de vigilance
Un important dossier de cette législature consiste dans une réglementation sur le devoir de vigilance (“due diligence”) des entreprises. Il s’agit de veiller à qu’elles assument leurs responsabilités sociétales, en mettant en place des mécanismes pour éviter, dans le cadre de leurs activités ou celles de leurs fournisseurs et sous-traitants, des conséquences négatives pour l’environnement, les travailleur.se.s ou les populations locales. Les entreprises devront faire attention à ce qu’elles ne portent pas atteinte à la Convention internationale des droits de l’enfants, dont les droits également couverts par la Convention 138 de l’OIT sur l’âge minimum et 182 sur les pires formes de travail. Les entreprises devront évaluer les risques de ce type pesant sur leur chaîne de production et, le cas échéant, établir un plan d’action. Si malgré cela, des risques se matérialisent dans la réalité, elles devront établir un plan de correction et s’exposeront à des sanctions.

La Directive propose des améliorations mais reste lacunaire. En particulier en ce qui concerne les entreprises concernées car, à ce stade, la proposition de la Commission ne couvrirait que 1 % des entreprises européennes. Une extension du champ d’application de la Directive que je défendrai dans les prochaines semaines au Parlement.


- L'interdiction du travail forcé et des pires formes du travail des enfants
Sous la pression d’une série d’eurodéputés (dont je fais partie) exigeant un système d’interdiction de mise sur le marché européen de produits teintés de travail forcé ou de travail des enfants, la Commission européenne a annoncé qu’elle complètera sa Directive sur le devoir de vigilance d’un instrument additionnel au mois de septembre. Afin de déterminer les contours que cet instrument devrait prendre, la commission du commerce international du Parlement européen a adopté ce 16 mai une résolution. Le Parlement y demande notamment de s’inspirer du système américain qui permet aux autorités douanières de confisquer les marchandises incriminées, l’importateur doit prouver que la production ou son acheminement n’a pas impliqué des travailleurs (y compris des enfants) forcés. Un soutien serait apporté aux PME qui ont une moindre capacité d’exercer une supervision de leurs chaînes de valeur. Une liste des contrevenants devrait être rendue publique et régulièrement mise à jour.


- Les relations UE-US renforcée au travers du TTC - Trade and Technology Council
L’UE et les Etats-Unis ont entrepris l’année dernière de raffermir les liens qui les unissent, sans qu’il soit question d’un nouvel accord économique entre eux du type TTIP. Ils ont mis en place une structure de concertation et de collaboration, le Trade and Tech Council (TTC) qui s’est réuni une première fois à Pittsburgh en septembre 2021. Les travaux pris en charge par une dizaine de groupes de travail portent sur les normes de la révolution numérique, sur la cybercriminalité, la sécurité de l’internet, la résilience des chaînes de valeurs, les technologies vertes, les enjeux sociétaux, etc.

A la mi-novembre, j’écrivais un courrier au Commissaire Dombrovskis en charge du commerce international, pour lui demander de mettre à l’agenda commun la lutte contre le travail des enfants, sujets qui rentre dans le périmètre de plusieurs groupes de travail (chaînes de valeur, enjeux sociétaux). Je suggérais que les deux puissances combinent leurs instruments et forces et usent de leur pouvoir de persuasion (via l’accès à leurs marchés) pour faire refluer ce phénomène. Deux mois plus tard, je recevais une réponse positive et le sujet figurait dans les notes préparatoires de la deuxième rencontre du TTC qui s’est tenue à Paris ce 16 mai.

 

Il reste encore beaucoup de travail avant l’échéance de 2025, date-butoir pour l’éradication du travail des enfants. Il est malheureusement assez probable que l’objectif ne sera pas atteint, mais l’ensemble des pistes esquissées ci-dessus, qui reflète l’esprit de l’Appel de Durban adopté en clôture de la conférence, indique qu’il n’y a pas de fatalité et que l’on peut rapidement améliorer le sort de dizaines de millions d’enfants.

 

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