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Stratégie pour un textile durable : un premier pas dans la bonne direction

31-03-22

La Commission européenne a publié le 30 mars 2022 sa Stratégie pour un textile durable. Ce document, qui donnera lieu à de nouvelles législations dans les mois et années à venir, contient des pistes intéressantes. 

Ce document de 13 pages était particulièrement attendu en raison des pressions constantes exercées par le secteur sur l’environnement (4e secteur européen avec la plus lourde empreinte environnementale) et des impacts sociaux pour les travailleurs (à 75 % des femmes ; beaucoup d’enfants dans les usines) en bout de chaine. Il y a urgence à agir : la production au niveau mondiale a doublé entre 2000 et 2015, et la consommation devrait encore croître de 63 % d’ici à 2030 ! 

Certes, des initiatives ont cours pour limiter les impacts nocifs du secteur textile. Mais elles manquent d’envergure, et ne permettent pas d’engager une dynamique de changements suffisamment profonds et rapides pour rendre le secteur durable et juste.

La stratégie foisonne d’annonces, étant entendu que la plupart d’entre elles donneront lieu à de nouvelles législations ou à la mise en place de nouvelles procédures, voire de nouveaux soutiens financiers et investissements. La Commission s’affiche même volontariste, puisqu’elle ne fait pas mystère de vouloir brider, voire éradiquer le phénomène de la fast fashion! La Commission espère résoudre la quadrature du cercle car en même temps, elle se préoccupe de la compétitivité des 160.000 entreprises européennes et de la mise sur le marché des vêtements, chaussures, etc. de qualité mais abordable.

L’écoconception, au cœur du dispositif

Une pièce centrale de l’édifice tient dans le règlement européen sur les critères d’écoconception qui sera complété pour garantir de meilleures performances des textiles, tapis et matelas qui présentent les plus gros potentiels en termes de durabilité, de réutilisation, de réparabilité, de recyclabilité et d’un pourcentage minimum de fibres recyclées dans les nouveaux textiles.

Haro sur les substances toxiques

Reconnaissant que pas moins de 60 substances chimiques dangereuses pour notre santé se retrouvent dans les produits textiles, les industriels seront amenés à ne plus y recourir. De la même façon, alors que la lutte contre la pollution par le plastique est au sommet des agendas politiques, la Commission fait la chasse aux microplastiques et n’exclut pas d’imposer des filtres sur les machines à laver (qui réduirait de 80 % le volume de microplastiques relâchés lors du lavage).

Un ensemble de mesures pour informer et réduire les dépenses inutiles

La Commission veut également proposer une interdiction de destruction des invendus et que les grandes entreprises révèlent la quantité de produits elles mettent à la poubelle ou les mesures prises pour réduire l’ampleur de ce gâchis.

Le secteur textile va également opérer une révolution numérique pour servir la cause environnementale. Il s’agit de développer un « passeport numérique » et d’améliorer l’étiquetage de manière à fournir aux consommateurs les informations nécessaires en termes de circularité et de durabilité notamment. Des règles européennes vont harmoniser les initiatives prises dans plusieurs pays en matière de responsabilités étendues des producteurs visant à ce que, en bout de parcours, ils doivent assumer la fin de vie des déchets. Complémentairement, des objectifs obligatoires en matière de réutilisation et de recyclable pourraient être imposés dans les prochaines années.

L’économie sociale n’est pas oubliée vu son rôle crucial dans la réutilisation et le potentiel de création d’emplois (entre 20 et 35 par 1.000 tonnes de textiles collectés).

La Commission fait également un geste contre le greenwashing. C’est important, quand on sait que près de 40 % des T-shirts, chaussures, etc. présentées comme « verts » mentent quant à leur vraie nature ! Elle développera des outils - notamment l’Ecolabel - pour que les consommateurs achètent en connaissance de cause.

Selon la Commission, 40 % des travailleurs du secteur en Europe ont des compétences vertes et 55 % des entreprises peinent à recruter des travailleurs avec des compétences numériques qui seront bien nécessaire pour concrétiser les ambitions de la Commission. Les actions en matière de formation tout au long de la vie et de développement de stages, etc. seront amplifiées.

Les États membres devront également faire leurs devoir en intégrant par exemple des critères pour des textiles durables dans leurs marchés publics, en concevant un système de taxation favorable à la réutilisation et à la réparation, en soutenant les investissements nécessaires à la modernisation du secteur, en veillant à ce que leurs autorités de supervisions des marchés traquent bien les irrégularités (sachant aussi que la Commission va renforcer la lutte contre les contrefaçons) et coopèrent les unes avec les autres.

L’absence de mesures au niveau commerciale

Bien que reconnaissant que la plupart des produits textiles consommés en Europe est en réalité importée, souvent de pays en développement (Bangladesh, Turquie, Maroc, Vietnam, Inde...), la Commission déçoit en revanche par son manque d’idées pour embarquer ces pays dans la dynamique vertueuse de la modernisation. Elle a pourtant des outils pour agir en ce sens, notamment grâce à sa politique commerciale.

Elle se borne toutefois à rappeler sa récente proposition sur le devoir de vigilance des entreprises, alors que cette législation ne concernerait que 5 à 10 % des entreprises du secteur. Et elle renvoie à une future réglementation interdisant d’accès au marché européen les produits issus du travail forcé (sans donner de date, alors que ses autres propositions sont souvent assorties d’une échéance).

Enfin, alors que tous les regards sont tournés vers l’Ukraine, on est étonné que la stratégie n’y fasse pas référence alors que 2.500 usines y produisent du textile destinés pour 90 % aux marchés internationaux, une bonne part à l’Europe. La stratégie aurait par exemple pu proposer que les Ukrainien.ne.s travaillant jusqu’ici dans le secteur et réfugiés dans les pays frontaliers dont la Pologne, compte tenu des pénuries de compétences et de main-d’oeuvre.

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