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Carte blanche: «Le Qatargate, et après?»

13-01-23

Texte initialement paru sur Lesoir.be le 3 janvier 2023.

Un changement de la culture politique est nécessaire, repousser les murs du Parlement européen, les rendre transparents comme une verrière.

Le scandale de corruption qui touche le milieu politique européen nous affecte toutes et tous. D’aucuns s’imaginent les mallettes d’argent qui circulent et s’échangent au bar du Parlement européen. Un clin d’œil – amer, désabusé ou empreint de colère – qui revient désormais dans les conversations entre la crise énergétique et la crise démocratique. Les noms de députés circulent, dont l’action et le rôle questionnent : comment est-ce possible ? Quelles règles existent, quelles sanctions ? Comment savoir ce que font les élus que l’on envoie une fois tous les cinq ans au Parlement européen ? Et surtout comment le font-ils, avec qui et à quelle(s) fin(s) ? L’intérêt général et des citoyens est-il au cœur de l’action politique ?

Je suis entrée en politique avec la ferme intention de changer les pratiques, j’ai été élue pour représenter les citoyennes et citoyens, pas des intérêts particuliers. J’ai fait face à des conflits d’intérêts dans le chef de collègues d’autres groupes politiques depuis 2019, mais les conséquences ont été quasi nulles. Pourquoi ? Parce que des parlementaires sont eux-mêmes chargés du suivi des conflits d’intérêts chez un collègue. Il n’existe ni contrôle indépendant, ni sanctions. Rappelons-nous aussi du tollé suscité en 2016 lorsque Barroso, l’ancien président de la Commission européenne, avait rejoint la banque d’affaires Goldman Sachs. Les demandes de changement des règles face à ces situations sont pourtant restées lettre morte.

Imposer des règles éthiques, de transparence, de contrôle et de sanctions aux élus : quoi de plus normal dans un système démocratique ?

Pourquoi ceux qui ont refusé des règles strictes jusqu’à présent seraient-ils prêts à les accepter aujourd’hui ? En 2016, socialistes, libéraux, conservateurs ont bloqué un paquet de mesures qui auraient permis une plus grande transparence et un meilleur contrôle. Ce paquet est remis sur la table du Parlement européen aujourd’hui. Mais malgré les déclarations tonitruantes et scandalisées en plénière de décembre au lendemain de la révélation du Qatargate, la trêve des confiseurs a fait retomber le soufflé malgré une actualité mouvante. A ce stade, il a été décidé qu’une commission d’enquête parlementaire et un « comité spécial » vont être mis sur pied, nous ne sommes pas à l’abri d’un nième encommissionnement, sans qu’un train de mesures effectives ne voie le jour rapidement.

Arrêter de faire semblant

Les groupes majoritaires sont-ils réellement prêts à mettre fin aux jeux d’influences auxquels se prêtent les lobbys et les diplomates étrangers ? En ce compris avec le Maroc, cité depuis plusieurs jours mais que ces mêmes groupes politiques ont refusé de nommer dans la résolution adoptée en décembre sur le scandale du Qatargate dont le Maroc est pourtant le point de départ ? Influence bien réelle et bien connue de tous au sein du Parlement européen et au sein des institutions européennes de manière générale ?

 

Il faut arrêter de faire semblant de découvrir l’ampleur d’un problème largement connu, visible, documenté que la majorité des élus continuera de cautionner voire d’entretenir comme jusqu’aujourd’hui si les règles ne changent pas.

C’est la culture politique qui doit changer, à tous les étages (wallon y compris) et c’est à la nouvelle génération politique de l’imposer. Ces règles ne doivent pas être inventées ni faire l’objet de longues réunions de commission. Elles sont sur la table depuis des années :

– Organe européen d’éthique indépendant ;

– Déclaration de mandats, de revenus et de patrimoine des élus (applicable en Belgique, pas dans tous les Etats membres) ;

– Période de « refroidissement » (prise de distance) lors de la sortie de mandat d’un député ou commissaire ;

– Non-cumul du mandat avec certaines fonctions ;

– Déclaration de toutes les réunions, voyages, cadeaux et obligation de pouvoir tracer « l’empreinte législative » du parlementaire ;

– Obligation d’inscription au registre de transparence pour tout lobby, organisation ou représentant d’Etat tiers ;

– Interdiction des « groupes d’amitié » et autres groupes non officiels ;

– etc.

La liste est longue mais nécessaire pour mettre fin à l’impunité et aux jeux d’influences dangereux pour la démocratie.

Si un stop n’est pas mis aujourd’hui, face à ce scandale sans précédent, qui s’étonnera encore de la montée des extrêmes qui se délectent de la situation qui trouve cette fois sa source au sein du groupe socialiste ? Les jeux d’influence, les cadeaux et les voyages concernent toute la classe politique. Sa responsabilité est énorme pour empêcher l’extrême droite d’en tirer bénéfice, extrême droite absente de la majorité des travaux mais qui se fait le représentant d’intérêts et de gouvernements au programme fascisant.

Combler le « fossé croissant »

Et que dire de l’extrême gauche qui, si elle se montre très prompte à adopter des règles de gouvernance plus strictes, n’en demeure pas moins complaisante à l’égard de régimes communistes autoritaires dont elle vante souvent la capacité de sortie de la pauvreté de sa population faisant l’impasse sur l’absence de liberté d’expression, de liberté syndicale, de respect des droits fondamentaux, sur les prisonniers politiques et d’opinion, les exilés. Un exemple ? Le Vietnam, que tous les groupes politiques soutiennent en signant un accord d’investissement comme un cadeau à ce pays « qui a tant progressé ». Ces arguments font étrangement écho à ceux avancés par les récents défenseurs du Qatar. Un soutien en échange de quoi ? La question se pose légitimement quand on sait l’influence et la présence de délégations vietnamiennes lors de nos travaux et la langue de bois qui domine lors des assemblées interparlementaires depuis trois ans alors que les droits fondamentaux ne cessent de se dégrader dans ce pays depuis l’entrée en vigueur de l’accord sans que les positions n’évoluent d’un iota.

La plupart des groupes politiques doit faire le ménage dans ses rangs, veiller à mettre fin aux conflits d’intérêts de ses membres et la nouvelle génération politique doit se fédérer pour mettre l’éthique, la transparence, la responsabilité politique en pratique.

Sans une action d’envergure pour établir des règles, nous pourrons définitivement arrêter d’essayer de combler ce « fossé croissant » ou le « désamour du politique » au sein de la population. Il ne serait que normal que la distance continue à se creuser entre des citoyens dont les moyens de contrôle sont limités et des élus dont l’action est souvent méconnue et peut sembler sans limites. En tant qu’élue européenne, je me sens moi aussi fort éloignée de ce monde politique là, celui qui refuse l’éthique, la transparence, la responsabilité. Il est temps de repousser les murs du Parlement, de les rendre transparents comme une verrière.

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