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L'UE doit agir pour mettre fin au refoulement des réfugié.es en Grèce

04-10-22

Texte initialement publié en anglais sur le site de Social Europe.

 

L'absence d’action européenne en matière de protection des droits des personnes migrantes a permis à la Grèce de mettre en place un sombre système de refoulements illégaux, de surveillance et d'autres violations des droits fondamentaux.

 

Dans un petit bureau de l'hôpital universitaire d'Alexandroupolis, Pavlos Pavlidis, médecin légiste, fouille dans des boîtes d'effets personnels trouvés sur les corps de celles et ceux qui ont péri en tentant de traverser la frontière gréco-turque. L'air est lourd lorsque nous regardons les sacs en plastique scellés. À l’intérieur, des alliances, des briquets, des cigarettes et des petits bouts de papier griffonnés... Autant de traces de vie qui ont appartenu à celles et ceux qui cherchaient désespérément un avenir meilleur.

Depuis 2000, le Dr Pavlidis a créé à lui seul une base de données ADN de 550 réfugié.es et migrant.es qui ont perdu la vie dans le fleuve Evros ou dans les montagnes de cette région frontalière. Il insiste sur le fait que beaucoup de personnes n'ont jamais été localisées. Son objectif, explique-t-il, est d'identifier les corps et de retrouver les membres de la famille du défunt. « C'est une question de respect », souligne-t-il. « Respect pour les victimes, pour les familles et pour le caractère sacré de toute vie humaine. »

Des preuves toujours plus nombreuses

Dans cette région frontalière, il n’y a plus de place pour la dignité humaine. La situation à la frontière est chaque jour plus tendue, la rhétorique entre les autorités grecques et turques toujours plus incendiaire, et les refoulements illégaux de migrants vers la Turquie de plus en plus fréquents. À la mi-août, des rapports ont fait état d'un groupe de migrants laissés sans aide pendant des jours sur un îlot du fleuve Evros, aucun des deux pays ne voulant assumer la responsabilité de leur sauvetage.

 

Avec plusieurs collègues Verts/ALE de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen, nous avons considéré que visiter la région relevait de notre responsabilité. Nous nous intéressions bien sûr à la question des refoulements illégaux et aux nombreuses violations des droits fondamentaux à la frontière. D’autres aspects ont également attiré notre attention, comme le déploiement de technologies de surveillance de masse, et les pressions croissantes sur les organisations de la société civile et les journalistes grecs qui tentent d’enquêter sur ces pratiques.

Pendant notre mission, nous avons été confrontés à la construction d’un système de dissuasion et de mensonges, de manière délibérée et ouverte, par le gouvernement grec. Tout cela est facilité par de l’argent de l’Union européenne, qui finance les centres d’accueil. En mer Égée et dans la région d’Evros, les refoulements — la violation la plus flagrante du droit d’asile en expulsant des personnes du territoire — sont systématiques. L’expulsion est devenue la norme.

Illégalité flagrante et impunie

Le gouvernement grec ne fait pourtant l'objet que de peu de surveillance de la part de l'UE pour son mépris flagrant des droits fondamentaux. En conséquence, les autorités grecques érigent leur système illégal de gestion de l'asile en modèle. Modèle qui trouve un écho auprès d’autres États membres, qui refusent de faire preuve de solidarité et gardent le silence face à ces violations des droits ! Les journalistes et les militants de la société civile en Grèce font état d'intimidations et d'un climat d'hostilité lorsqu'ils tentent d'enquêter sur ce qui se passe.

Il est temps que la Commission européenne garantisse la dignité humaine et le respect des lois européennes, y compris le droit d'asile, en Grèce. La Commission dispose des outils nécessaires pour engager des procédures d'infraction, sur la base des nombreuses preuves de violations émanant d'organisations crédibles.

Elle choisit pourtant, inexcusablement, de ne pas le faire ! Il est urgent que le fonds européen pour la gestion des frontières soit subordonné au respect des droits fondamentaux. Voir l'argent des contribuables européens utilisé pour financer des pratiques qui violent ces droits est un scandale. C'est pourquoi, lors de notre visite, nous avons lancé une campagne demandant à l'UE de cesser de financer les refoulements.

Ces refoulements n'impliquent pas seulement les autorités grecques. Elles soulèvent également de sérieuses inquiétudes quant au rôle de Frontex, l'agence européenne de contrôle des frontières. Celle-ci a promis des améliorations en matière de respect des droits fondamentaux après que des rapports, notamment de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), aient confirmé des allégations de fautes graves, de mauvaise gestion et de complicité de violations des droits de la part de l’agence. Pourtant, depuis que ces promesses ont été faites, nous ne les voyons pas se traduire en actes sur le terrain grec.

Hautement problématique

Les agents de Frontex dans la région d'Evros opèrent sous le commandement et le contrôle des autorités grecques. Autorités qui les envoient dans des zones spécifiques en fonction des besoins opérationnels. Cette structure de chaîne de commandement est extrêmement problématique, puisque les droits fondamentaux ne sont pas pris en compte dans ces décisions de déploiement.

Le gouvernement grec estime que, depuis le début de l'année, plus de 150 000 arrivées ont été "évitées". Cela soulève la question de savoir si les agents de Frontex sont déployés aux bons endroits et si leur présence présente un quelconque avantage en termes de protection des droits.

Depuis plus d'un an, en tant que membres de la commission LIBE, nous demandons à Frontex de faire preuve de prudence et responsabilité notamment concernant ses activités en Grèce. Si l'agence ne peut pas remplir son mandat concernant les droits fondamentaux, elle devrait suspendre ses opérations pour éviter d'être complice de violations.

Le système d'asile grec est truffé de pratiques qui refusent de manière flagrante l'accès aux procédures d'asile ou qui incitent plus subtilement les personnes à se rendre dans d'autres pays. Les travailleurs de l'aide juridique témoignent de situations déconcertantes de migrants incapables d'accéder à la plateforme de demande d'asile. La raison : cette plateforme est complète jusqu'en septembre 2023.

Le lendemain de notre visite au centre d'enregistrement et d'identification de Fylakio, où mineur.es et familles étaient entassés derrière des barbelés semblables à ceux d'une prison, nous avons revu ces mêmes barrières. Cette fois, elles apparaissent sur un écran géant dans la salle de contrôle de surveillance ultramoderne du Ministère des Migrations et de l'Asile. Nous avons demandé à la Commission d'apporter des éclaircissements sur le financement européen dont ces technologies ont bénéficié et sur la manière dont le respect des droits - y compris la protection des données personnelles - est assuré.

Une menace sérieuse

Au terme de cette mission, nous avons la nette impression que les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés sont violés, que la surveillance de masse s'intensifie - même après le récent scandale des logiciels espions Predator - et que l'État de droit est gravement menacé. Le travail inlassable des journalistes d'investigation, des acteurs de la société civile et des individus tels que le médecin légiste Pavlidis offre une mince lueur d'espoir dans une histoire de plus en plus sombre.

En tant que députés européens, nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir le combat courageux de celles et ceux qui défendent les valeurs fondamentales sur lesquelles l'UE a été fondée. Mais il ne faut pas les laisser se battre seuls : c'est une lutte collective. L'absence persistante de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres alimente les violations systématiques que nous constatons le long des frontières extérieures de l'UE. L’absence de solidarité empêche également les États membres de s'exprimer de manière crédible.

Tant que les États membres s'accrocheront au principe du ‘pays d’entrée - pays responsable’ du règlement de Dublin, ce système inhumain et inapplicable poursuivra sa spirale descendante. Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'un engagement ferme en faveur d'un partage équitable des responsabilités. Sans cela, toutes les violations aux frontières de l'Union seront notre héritage commun. Et notre honte collective.

 

Tineke Strik, Erik Marquardt et Saskia Bricmont

 

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