Le plus grand danger pour la démocratie ne vient pas de ses ennemis, mais lorsque ses alliés n’arrivent pas à se rallier à elle et à faire respecter l’Etat de droit. Au risque de faire naître l’euroscepticisme parmi les plus pro-européens.
En juillet dernier, au lendemain des élections européennes, le groupe des verts au parlement européen a majoritairement choisi de soutenir la candidature d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne. Il s’agissait ainsi de soutenir une candidate qui annonçait alors qu’elle ne travaillerait pas avec l'extrême droite, et que la législation climatique ne souffrirait d’aucun recul, en maintenant le Pacte vert initié en 2019. En d’autres mots, il s’agissait de soutenir la candidate la moins pire à laquelle nous pouvions nous attendre, étant donné qu’en cas d’échec, le PPE (Parti populaire européen, premier groupe sur l’échiquier politique) proposerait à sa place un.e candidat.e qui n’aurait pas le Pacte vert, dont elle fut la principale artisane, en héritage et serait plus prompt à collaborer avec l’extrême droite. La famille verte a fait preuve de responsabilité en allant au bout d’une logique de responsabilité vis-à-vis d’une coalition – et d’un PPE – qui avait donc le choix de la direction dans laquelle elle souhaitait se tourner.
Personnellement, vu l’attitude du PPE sous l’ancien mandat, j’étais dubitative, et la lecture du programme de VDL, s’il comporte les mots-clés chers aux Verts, a pourtant de quoi interpeller. Si les objectifs de neutralité carbone en 2050 sont maintenus, les étapes pour poursuivre et maintenir le cap sont moins claires : compétitivité (et exploitation des ressources?), plan industrie propre et décarbonisation de l’industrie (quid des autres secteurs dont l’agriculture ou le transport?), etc. Des engagements trop faibles pour être crédibles et permettre d’atteindre nos objectifs climatiques tout en assurant que cette transition soit à l’avantage des citoyens en rendant une fois pour toutes les choix écologiques ( = de santé) moins chers. Autre point de son programme qui m’a retourné les tripes : un programme ultra-sécuritaire et un agenda migratoire dignes d’un pamphlet de l’extrême droite.
Madame von der Leyen est en totale roue libre sur la migration, prenant des initiatives à l’appel de la dirigeante italienne fasciste pour inciter à des politiques d’externalisation vers des pays tiers, comme l’Albanie. Sous le vocable de “solutions innovantes”, de plus en plus d’États avancent sur des questions qui, il y a cinq ans, soulevaient l’indignation (construction de murs aux frontières - rappelons-nous de la réaction européenne indignée du mur construit par Trump entre le Mexique et les USA ou le renvoi de personnes migrantes vers des dictatures).
La Commission européenne doit être la gardienne des traités, ce n’est pas son rôle de surfer sur la vague politique qui flirte avec l’extrême droite. Quand les politiques dérivent et font entrer l’UE dans une ère d’illégalité, les juges tiennent le cap de l’État de droit pour faire respecter la loi : le tribunal de Rome a invalidé la détention des migrants à l’intérieur du centre de détention italien pour le rapatriement de Gjader en Albanie. Quel camouflet pour le Conseil européen - toujours piloté par Charles Michel à l’heure qu’il est - qui au même moment embrayait sur cette idée fasciste de déportation des personnes en séjour illégal. À force de courir derrière l’extrême droite, c’est le droit qui finit par rattraper nos dirigeants européens. Mais pour combien de temps?
Ici aussi, en totale roue libre, la Présidente de la Commission européenne a décidé depuis juillet :
- de lever le statut de protection du loup,
- de reporter la mise en œuvre du règlement anti-déforestation (en juillet pour obtenir le soutien des verts, elle assurait la bouche en coeur qu’il n’y aurait pas de retour en arrière sur la législation), fameux cadeau pour le Brésil et condition nécessaire pour la conclusion de l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur qu’elle a d’ores et déjà annoncé,
- d’offrir un poste de vice-présidence de la Commission européenne (sur six) au Commissaire italien Rafaele Fitto issu du parti fasciste Fratelli d’Italia de Meloni. Rien ne l’y oblige, d’autant que l’ECR auquel appartient Meloni n’a pas soutenu Ursula von der Leyen pour sa réélection en juillet… contrairement aux Verts qui avaient clairement signifié que ce serait l’extrême droite ou eux.
Déportation de personnes, recul du Pacte vert, flirt avec l’extrême droite, voilà qui donne le "la" de ce qui nous attend pour les cinq prochaines années, après seulement trois mois de mandat. Faire de la politique autrement c’est refuser de jouer le jeu de celles et ceux qui n’arrivent plus à être un rempart à l’extrême droite, qui n’ont plus d’autre projet pour l’Europe que d’en exclure les “étrangers”, dont elle aura pourtant cruellement et cyniquement besoin pour face au vieillissement démographique.
À l’heure d’écrire ces mots, des inondations dévastatrices sont en cours dans la région de la Loire. Bientôt, les assurances ne prendront plus en charge, bientôt les coûts de la reconstruction ne seront plus payables, surtout pour les plus précaires d’entre nous. Mais rien dans les majorités qui se dessinent de la Belgique à l’Europe ne laisse présager des politiques publiques ambitieuses en matière climatique et sociale. Le constat est cinglant : le climat absent de la campagne et Ecolo absent des majorités sont synonymes de politiques qui vont renforcer la précarité et l’insécurité face aux éléments.
Ursula von der Leyen qui a présenté son collège de commissaires (14 PPE (+5), 2 ECR (+1), 4 socialistes (-5), 5 libéraux (+1) et 1 PFE (extrême-droite +1), doit désormais obtenir le soutien du Parlement européen à la suite des auditions des commissaires. Elle a divisé pour mieux régner (éclatement des portefeuilles des Commissaires, sans réelle cohérence, qui implique beaucoup de commissions parlementaires différentes et complique le travail de contrôle du Parlement) et le Parlement, plus à droite que jamais, a commencé à mettre ses pions en place.
Si le cordon sanitaire a prévalu dans la répartition des présidences de commissions parlementaires, il a sauté dans la foulée. Le PPE, le parti des conservateurs européens, préférant s’allier à l'extrême droite pour l’organisation des travaux et la mise à l’agenda de manière systématique à chaque plénière de leur sujet le plus cher : la migration. Leur rhétorique est connue et dégouline de racisme à l’égard des personnes concernées, assimilées à ceux qui violent “nos femmes” (la grande majorité des violences sont intrafamiliales), qui commettent des attentats (on parle des attentats et de la violence d’extrême droite?), bref, les boucs émissaires idéaux que l’extrême droite avec la complicité des partis conservateurs et du centre droit veulent déporter.
Pendant ce temps-là, les politiques sociales, les inondations, le revenu minimum, le libre-échange qui étouffe nos agriculteurs, sont autant de sujets qui ne sont pas débattus (la demande de débat sur le Mercosur pour la semaine n’a pas recueilli de majorité!!). Les sujets liés au climat sont relégués au dernier point à l’agenda du jeudi après-midi de plénière quand la vaste majorité des députés a déjà repris le train charter pour rentrer à Bruxelles!
L'extrême droite déteste la démocratie et a commencé à la saboter de l'intérieur. Tant qu'elle trouvera des alliés pour mettre à l'agenda des sujets qui alimentent son projet identitaire, au détriment du débat démocratique et de sujets cruciaux, comme le revenu minimum, l'accès au logement et à l'emploi, la lutte contre les violences faites aux femmes, le respect de l'État de droit ou les accords de libre-échange auxquels les européens s’opposent de plus en plus, ils alimenteront la bête et elle pourra poursuivre son œuvre parmi les déçus de la démocratie ou ceux qui ne voient pas ce que l'Europe fait pour eux.
Les jours à venir seront consacrés aux auditions des commissaires. Nous ferons ce qui est de notre responsabilité : les interroger et évaluer leur aptitude à être commissaires et exécuter leur lettre de mission. Ne nous leurrons pas toutefois : les groupes PPE, socialistes et libéraux protégeront sans doute mutuellement leurs candidats. Et nous verrons ce qu’il advient du vice-président Fitto. Là aussi, mon espoir est faible : si Ursula von der Leyen voulait faire barrage, jamais elle ne l’aurait nommé vice-président. Ce sont aussi vers les libéraux et les socialistes que les regards doivent se tourner : sont-ils prêts à collaborer pour cinq ans avec l’extrême droite fasciste comme vice-président de certains de leurs commissaires? Plus globalement, ce sont eux qui doivent signifier au PPE qu’il est temps d’arrêter de jouer entre l’extrême droite d’un côté et les groupes plus à sa gauche de l’autre : soit une alliance progressiste est scellée, soit le PPE assume sa collaboration fascisante.
À ce stade, la droite européenne a choisi son camp. Au détriment de l’alliance progressiste, pro-européenne, démocratique, qui au-delà des divergences idéologiques, doit continuer à bâtir l’Europe, à y garantir le règne de l'État de droit, de la démocratie, des droits fondamentaux de toutes et tous, la protection des plus vulnérables. Notre Europe doit se préparer à un avenir certes plus difficile, mais qui a les capacités de se préparer, de s’adapter et d’accompagner l’ensemble des secteurs de la société et les citoyens vers les nécessaires changements sociaux, écologiques, économiques, industriels. Oui le changement peut être positif lorsqu’il est préparé, selon un cap fixé démocratiquement et en ne laissant personne au bord du chemin.
Rappelons-nous la devise de l’Europe : unis dans la diversité.
Et contre les fachos.
Soyez assuré.es que ce sera mon combat pour les cinq années à venir.