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Ecocide: l'Union européenne avance dans la lutte contre les crimes environnementaux!

17-11-23

En décembre 2021, la Commission a proposé une révision de la directive relative à la criminalité environnementale qui vise à pallier les manquements de la législation de 2009. Pour ce faire, cette proposition initiale prévoyait notamment l’introduction de nouvelles catégories de délits environnementaux, un niveau minimal de sanctions, le renforcement des enquêtes transfrontalières, et une plus grande coopération entre États-membres. Pour les Verts/ALE, ces propositions, quoique positives, restaient insuffisantes, notamment  l’absence de qualification du crime d'écocide dans la partie opérationnelle du texte (seulement mentionné dans les considérants).

La position officielle du Parlement, qui apporte des avancées par rapport à la proposition initiale, a adopté le 28 mars 2023 en Commission des affaires juridiques. Marie Toussaint était la shadow rapportrice pour le groupe des Verts/ALE. Saskia Bricmont a été rapportrice de l’opinion de la Commission LIBE du Parlement (plus d’information : ICI). Le Conseil a adopté son approche générale, moins ambitieuse, le 9 décembre 2022. Un accord interinstitutionnel après les négociations en trilogues a été trouvé le 16 novembre 2023, en voilà les points principaux.

 

L’accord final : une victoire pour les Verts/ALE ! Que contient-il ?

Ce texte comporte de nombreuses avancées qui sont des combats historiques des Verts/ALE telle que l'introduction d'une disposition équivalente à la reconnaissance de l’ecocide.
Il s’agit de la disposition sur les "infractions qualifiées". Cela signifie que les infractions qui ont les conséquences environnementales les plus graves (telles que la pollution généralisée, les accidents industriels ayant des effets graves sur l'environnement ou les incendies de forêt à grande échelle) peuvent être punies plus sévèrement dans les États membres - lorsqu'elles causent la destruction ou des dommages étendus et substantiels, irréversibles ou durables, à un écosystème, à un habitat ou à la qualité de l'air, du sol ou de l'eau. Le considérant joint à cette nouvelle disposition précise clairement que ces infractions qualifiées incluent des cas comparables à l'écocide et fait référence aux discussions en cours au niveau international (ONU et Conseil de l'Europe, par exemple). 

En outre, nous avons élargi la définition de ce qui est considéré comme "illégal" afin de garantir que les contrevenants puissent être poursuivis même s'ils disposaient d'une autorisation pour exercer leurs activités, notamment lorsque l'autorisation a été obtenue de manière frauduleuse ou par la corruption, l'extorsion ou la coercition - mais aussi lorsque l'autorisation est en violation manifeste d'une exigence légale substantielle.

Ces deux points ne figuraient ni dans la proposition initiale de la Commission, ni dans l'approche générale du Conseil, mais sont venus directement du Parlement 

 

D'un point de vue plus général, voici ce que comprend le texte :

Infractions environnementales - quels types de comportements peuvent être poursuivis ?

  • Cette directive n'établit que des normes minimales et les États membres peuvent aller au-delà et être plus ambitieux au niveau national.
  • Il y a beaucoup de nouvelles infractions environnementales par rapport à la directive de 2009, y compris :
    • Dieselgate (b),
    • Pollution par les produits chimiques (c),
    • Pollution par des métaux lourds tels que le mercure (c),
    • Exécution de projets privés ou publics sans évaluation correcte des conséquences environnementales (d),
    • Recyclage inadéquat des navires (g),
    • Pollution causée par les navires (h),
    • Exploitation ou fermeture d'installations dangereuses, en liaison avec la directive sur les émissions industrielles (i),
    • Prélèvement illégal d'eau de surface ou d'eau souterraine (k),
    • Récolte illégale de bois ou de produits du bois (n)
    • Introduction et propagation d'espèces exotiques envahissantes (p)
  • Toutefois, abandon de certaines infractions incluses dans le mandat du Parlement European, notamment : la politique commune de pêche, les OGM, les incendies de forêt.
  • Avancées sur les questions horizontales liées à la définition des infractions environnementales :
    • Inclusion d’une approche écosystémique et pas seulement une approche sectorielle des dommages (qui était limitée aux dommages causés à l'air, au sol et à l'eau dans la proposition de la Commission)
    • Cependant, pas d’inclusion d’une perspective plus globale de la santé humaine (le texte fait désormais référence au terme restrictif de "préjudice"). Un considérant élargit tout de même cette approche du préjudice (en prenant en compte les maladies chroniques, par exemple).
  • Déclaration selon laquelle, outre les infractions définies dans la directive, les États membres peuvent définir des infractions pénales supplémentaires dans leur système juridique national afin de protéger l'environnement.
  • Certaines infractions peuvent être érigées en infractions pénales même lorsqu'elles sont commises de manière non intentionnelle, c'est-à-dire par négligence grave.
  • Nous incriminons également l'incitation, la complicité et la tentative pour de nombreux crimes.

 

Sanctions - quelles sanctions pour les personnes physiques et morales ?

  • La responsabilité des CEO peut être prise en compte par les États membres.
  • Pour la première fois dans le droit pénal de l'environnement de l'UE, le texte harmonise les sanctions pour les crimes contre l'environnement :
    • Pour les personnes physiques, les sanctions peuvent aller jusqu'à 10 ans de prison pour les crimes les plus graves s'ils causent la mort d'une personne + les Etats Membres peuvent décider de mettre en œuvre des sanctions supplémentaires telles que l'obligation de restaurer l'environnement, des amendes, l'interdiction d'exercer une fonction dirigeante au sein d'une personne morale du type de celle utilisée pour commettre l'infraction, des interdictions temporaires de briguer un mandat public, la publication de la décision judiciaire relative à la condamnation ou à toute sanction ou mesure ("naming and shaming") + invitation aux Etats Membres à envisager des mesures alternatives à l'emprisonnement pour assurer la restauration de l'environnement.
    • Pour les personnes morales : Malheureusement, deux systèmes sont mis en place pour les amendes - soit des amendes d'un montant fixe (plafonds minimum/maximum de 24 millions ou 40 millions selon la gravité), soit des amendes basées sur un pourcentage du chiffre d'affaires (plafonds minimum/maximum de 3 % ou 5 % selon la gravité) + les États membres peuvent décider de mettre en œuvre des sanctions supplémentaires telles que l'obligation de restaurer l'environnement, l'exclusion de l'accès au financement public, la fermeture des établissements utilisés pour commettre l'infraction, ou également la publication de la décision.
  • Harmonisation de ce qui doit être considéré comme des circonstances atténuantes (remise en état volontaire de l'environnement, assistance des autorités pour identifier d'autres contrevenants ou pour trouver des preuves) et des circonstances aggravantes (lien avec la criminalité organisée "ecomafia", utilisation de documents falsifiés, infraction commise par un agent public, condamnation antérieure, destruction de preuves, etc) aux fins de la définition des sanctions.
  • Introduction de niveaux de sanctions spécifiques liés à l'infraction qualifiée tant pour les personnes physiques (8 ans de prison) que pour les personnes morales (le texte mentionne un "niveau d'amendes pénales et non pénales plus élevé que le niveau maximum d'amendes fixé dans la présente directive" ou "des sanctions ou mesures plus sévères, y compris des sanctions ou mesures pénales ou non pénales, ou une combinaison de ces sanctions ou mesures").
  • Invitation aux États membres à utiliser les avoirs gelés et confisqués au cours d'une enquête pour la restauration de la nature + invitation aux États membres à développer des mesures de précaution dans leur droit national
  • Invitation aux États membres à envisager de mettre en œuvre dans leur droit national des mesures de prévention à prendre par les personnes morales/entreprises pour prévenir les dommages environnementaux (la mise en place des officiels responsables du respect de l'environnement, de systèmes de diligence raisonnable,..).

 

Accès à la justice, à l'information et rôle de la société civile dans la lutte contre les crimes environnementaux

  • Dispositions concernant l'accès à la justice et à l'information : nous veillons à ce que les personnes touchées ou susceptibles d'être touchées par les infractions environnementales, les personnes ayant un intérêt suffisant ou maintenant l'atteinte à un droit, ainsi que les ONG promouvant la protection de l'environnement et répondant aux exigences du droit national aient des droits procéduraux appropriés pour participer aux procédures concernant les infractions environnementales + il garantit que les informations sur l'avancement de la procédure sont partagées avec le public concerné. Toutefois, le Conseil a insisté pour inclure un libellé limitant la portée des obligations des États membres : cet accès à la justice et la publication d'informations ne devraient être accordés que s'ils existent déjà en vertu du droit national pour d'autres délits.
  • Dispositions relatives à la protection des personnes qui signalent des infractions environnementales : le texte garantit que les personnes qui signalent des infractions, qui fournissent des preuves ou qui coopèrent de toute autre manière avec les autorités compétentes, ont accès à des mesures de soutien et d'assistance dans le cadre des procédures pénales.
  • Invitations aux États membres à envisager la mise en œuvre de systèmes permettant aux personnes de signaler des infractions environnementales de manière anonyme.

 

Chaîne d'exécution et coopération transfrontalière

  •  En ce qui concerne les délais de prescription, il commence à partir de la commission de l'infraction et non de la découverte de celle-ci. Toutefois, nous avons inclus un considérant invitant les États membres à envisager l'adoption d'exceptions permettant que le délai de prescription ne commence à courir qu'à partir de la découverte de l'infraction.
  •  En ce qui concerne la compétence : les États membres devront adapter leur droit national pour permettre à leurs cours et tribunaux de se déclarer compétents pour connaître des infractions commises sur leur territoire ou par leurs ressortissants. En outre, les Etats Membres auront la possibilité d'introduire dans leur droit national la possibilité pour leurs cours et tribunaux d'étendre leur compétence lorsque le crime a été commis en dehors de l'UE pour le compte d'une société établie sur leur territoire. Nous regrettons toutefois que, sur ce point majeur, le choix soit laissé aux États membres d'étendre ou non leur compétence
  • Des appels politiques importants sont lancés afin d'améliorer la chaîne de mise en œuvre : Les États membres devront établir des stratégies nationales de lutte contre la criminalité environnementale et évaluer la possibilité d'encourager une plus grande spécialisation de leurs autorités nationales en matière d'environnement / assurer des formations spécifiques pour les juges, la police et le personnel public afin d'être mieux équipés pour lutter contre la criminalité environnementale. Nous avons également inclus un nouvel article visant à promouvoir la coopération entre les États membres et la Commission, ainsi que d'autres institutions, organes, offices ou agences de l'Union tels qu'Eurojust, Europol, le Parquet européen (EPPO)  et l'Office de Lutte contre la Fraude (OLAF).
  • Nous regrettons qu'il n'ait pas été possible de trouver un accord pour inclure une référence au procureur vert de l'UE et l’élargissement des compétences de l’EPPO aux crimes environnementaux dans la directive.
  • Introduction de dispositions relatives à la collecte de données et à l'établissement de rapports qui manquaient cruellement et qui étaient réclamées par de nombreuses ONG afin d'avoir une meilleure image de la réalité sur le terrain au niveau national et européen.
  • Inclusion d’une clause de révision ambitieuse pour permettre la révision du texte si nécessaire dans 5 ans (y compris la mise à jour de la liste des infractions)
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